Comptes-rendus

 

AccueilPublicationsEducationTémoignagesLittérature¡ En español !MédiasRencontresCarl RogersC.G. JungInspectionDon BoscoBlog de HansNouveaux livresComptes-rendusLecturesLiens

jeandanielrohart@hotmail.com

 

 

 Comptes-rendus de lecture   


 

Mara Goyet, « Collège brutal »[1]

 

On reconnaît les vrais professeurs, ceux qui sont faits pour enseigner, contre vents et marées, à leur esprit d’aventure, à leur enthousiasme, à leur goût prononcé pour le défis et pour la difficulté, à leur entêtement, à leur persévérance que rien ne semble pouvoir entamer. On peut dire d’eux qu’ils mènent une véritable quête, quête de l’impossible. Ce sont des condottieres, des aventuriers, des croisés, dont le but et l’ambition est de « donner forme au chaos », selon l’expression heureuse de Mara Goyet. Ce sont des êtres à l’esprit libre, des artistes, car la pédagogie est un art, en effet, un art incertain et problématique, mais qui fait connaître à celui ou celle qui l’exerce, des moments d’un indicible bonheur, le bonheur que procurent la Beauté, le Bien, la Vérité, et le devoir dûment et loyalement accompli, le bonheur qu’il y a à vaincre des difficultés que l’on croyait insurmontables. Les vrais professeurs tiennent bon au plus fort du découragement. Le découragement, d’ailleurs, n’est, chez eux, que passager, leurs échecs les stimulent plus qu’ils ne les découragent.

Mara Goyet appartient à cette catégorie d’êtres un peu fous, tant leur espoir et leur confiance en eux-mêmes et en leurs élèves, paraît totalement déraisonnable, à première vue. Ils veulent comprendre les êtres et les situations parfois déroutantes et inextricables, auxquelles ils se retrouvent confrontés en classe. Ils écoutent, ils regardent, soupèsent, attendent, s’arrêtent, repartent en avant de plus bel. Ils s’auto-éduquent, en même temps qu’ils éduquent, ils ne sont pas autosuffisants et arrogants. Ils connaissent les limites de leur action pédagogique. La difficulté du métier les a rendus humbles et réalistes. Ils ne baissent pas pour autant les bras.

En eux s’incarnent les archétypes de Dionysos, Mara Goyet parle de la geste sancto-dionysienne, ainsi que celui du Puer Aeternus et du Fripon-Divin. Les enseignants, lorsqu’ils restent en phase avec la réalité profonde de l’École, ont quelque chose de saltimbanques, de funambules aussi, voire de clowns, ils font en effet penser à l’archétype du Fripon-Divin, autrement appelé Trickster[2].

Ils sont capables, cette collègue nous le dit, de rendre Perceval de nouveau perceptible à une classe agitée, paumée et au départ éloignée de cette réalité mythique éternelle, ils animent en classe les mythes grecs, au lieu d’étudier des textes insipides démagogiquement voués à capter l’attention des élèves et à réveiller leur intérêt assoupi, car les élèves, Mara Goyet en fait l’expérience au quotidien, aiment apprendre, ils aiment être surpris et dérangés dans leur routine.

Les vrais professeurs sont plus nombreux qu’on ne l’imagine, ils connaissent l’émotion de voir le visage d’un élève s’éveiller, sortir de sa stupeur et de son ennui, parce qu’il vient de comprendre, grâce à son professeur, quelque chose qui fait sens pour lui. Les vrais professeurs sont restés vivants. Ils bricolent, rusent, feintent[3], pour faire avancer leurs élèves sur le chemin de l’éveil, du sens et de la compréhension. Ils prennent plaisir, tel St Christophe, à porter les élèves sur le chemin de l’accomplissement d’eux-mêmes, à montrer le chemin aux autres, même si « la direction à prendre n’est plus évidente »[4]. Et pourtant, ils avancent, sans savoir vraiment vers quels horizons, tant l’avenir est incertain. Ils avancent, comme dit la chanson, « d’aventure en aventure », ou de commencement en commencement, pour parler comme les Mystiques. Ils se savent faibles, mais ils sont fragiles et forts à la fois, ils ne nourrissent plus le mythe de la maîtrise parfaite. Ils tournent le dos au prométhéisme et au vertuisme, ainsi qu’au pédagogisme et aux consignes de l’Institution, s’ils les savent par expérience absurdes et contreproductives.

Ils ont appris à jongler avec les difficultés, à surfer sur les problèmes, à danser, crier, rire ou pleurer, parfois. Ils y croient encore fermement à leur métier, une mission presque, voire un sacerdoce laïque, même si rien dans leur quotidien ne justifie une telle foi, un tel courage, une telle confiance. Ils se disent et se répètent à eux-mêmes : « À force de foncer, de lutter, d’y croire, le professeur (que je suis) obtiendra l’impossible ». Ils ont une vision tragique de l’existence et de leur métier. Ils évitent de sans cesse se plaindre et de rendre les autres, l’Institution, ou la société, responsables de la situation qu’il leur est donné de vivre. Ce sont des conspirateurs, comme dit Carl Rogers, des aventuriers, des conspirateurs de l’intérieur et non des révoltés incendiaires ou des militants à l’ancienne. La révolution qu’ils mènent, est une révolution tranquille, selon les termes du même Carl Rogers[5]. Rien ne peut les décourager définitivement. Ils ont l’esprit de sérieux, doublé d’humour et d’humilité.

L’amertume ne suinte pas du témoignage que nous donne Mara Goyet, dans son nouveau livre Collège brutal. Après quinze années passées à tenter d’enseigner des élèves de ZEP, puis en centre ville, tout en les éduquant, aussi un peu, au passage, puisque de nos jours, comme  l’écrit cette collègue, les deux activités que sont l’enseignement stricto sensu et l’éducation au sens large, ne sont plus séparées par une barrière étanche. Qu’on le veuille ou non, il nous faut aussi assumer « les dimensions les plus prosaïques du métier »[6] et enseigner, par exemple, la politesse aux élèves qui ne savent pas encore ce que c’est. Il ne sert plus désormais à rien de répéter que le rôle d’éducation revient exclusivement à la famille. Vœux pieux, refus d’assumer le réel tel qu’il est, et non tel que nous voudrions qu’il soit, forme mineure de la lâcheté et de l’esprit de démission. Refuge sur les Hauteurs et refus d’assumer la Vallée, avec sa part d’ombre et ses incontournables pesanteurs.  Mara Goya « ne répugne pas à éduquer »[7], mais pour cette enseignante, cela ne signifie pas, se transformer en assistante sociale ni en maman.

Le témoignage de cette collègue ne nous apprend rien de nouveau sur le délabrement de l’École. On y retrouve les mêmes mots que dans les autres témoignages émanant d’enseignants en exercice. Elle nous dit ce que nous ne savons malheureusement que trop bien, surtout si l’on a soi-même enseigné. Que « le système est à bout de souffle », que l’on a affaire à « un gigantesque naufrage »[8]. On retrouve sous sa plume les mots de désastre, de marasme et elle ajoute que le système est devenu complètement absurde[9] et ce dernier point, l’absurdité, représente peut-être une nouveauté par rapport au contexte de l’École des années 80. Cette collègue nous explique de manière simple, parfois amusante et toujours convaincante, ce que nous ne savons aussi malheureusement que trop bien, à savoir que « Notre institution semble chaque jour davantage préoccupée par son fonctionnement, son organisation, sa rationalisation, que par le niveau de ses élèves »[10].

Et pourtant, le témoignage que nous offre Mara Goyet, dans son nouveau livre, ne se réduit pas à ce triste constat de l’état de notre École. Il est porteur d’un autre message. Message d’espoir, peut-être ! Elle nous dit que l’on peut encore, et malgré tout, prendre plaisir à enseigner, sans se transformer en assistant social, en psy, mais en étant pourvu de ce qu’elle appelle un bon sens enseignant. Elle nous rappelle qu’aimer les élèves n’est pas forcément un handicap. Elle précise : « Il ne s’agit pas de les aimer un par un, de les aimer comme on aime ses enfants (…) Mais il s’agit d’aimer l’enfance (…) D’aimer cet âge incertain qui désire encore apprendre mais est déjà un peu blasé, cet âge ingrat qui fanfaronne mais se laisse aussi avoir à tout bout de champ, d’aimer cette période de la vie où tout semble s’installer, la culture, la civilisation mais aussi les lacunes, les blessures et les échecs, cet âge chaotique, haletant compte à rebours avant le conformisme éternel »[11].

« Avoir un bon feeling », cela n’est pas honteux pour un professeur, lance-t-elle. Elle nous rappelle donc et fort opportunément ce que toutes les personnes qui enseignent de nos jours savent, à savoir que « la distinction entre éducation et enseignement (…) paraît de moins en moins évidente »[12] et que l’on est condamné à concilier des tâches qui autrefois étaient distinctes, l’École instruisant, tandis que la famille éduquait. Elle pointe avec raison cette tendance à la bureaucratisation et au fliquage permanent des enseignants : « l’obéissance, écrit-elle, prime sur la performance »[13] et le professeur « devient acteur de son propre contrôle »[14]. Il s’auto-évalue sans cesse, comme il passe sont temps à évaluer les compétences de ses élèves. Les professeurs remplissent des livrets de compétence, des cahiers de textes en ligne. On leur demande de brasser du vent et d’évaluer le néant. Mara Goyet évoque « La multiplication des tâches administratives, qui font perdre aux professeurs, leur élan, leur créativité, leur spontanéité, laquelle est tuée par une bureaucratie obsessionnelle à la Courteline »[15].

La spontanéité, d’ailleurs, est désormais considérée comme une forme de déviance idéologique[16]. Mara Goyet dénonce le poids grandissant de l’idéologie, des positionnements idéologiques dont elle n’aime, ni la rigidité, ni le confort illusoire, ni le caractère répétitif[17].

Les enseignants des années 70 se voyaient reconnaître une certaine liberté pédagogique, ils pouvaient encore, malgré les difficultés, enseigner dans le fil de leur bois, enseigner avec âme. En 2012, cela ne semble plus être possible : « On nous coupe dans nos élans. On nous bride. On nous occupe de tâches débilitantes, on cherche à  nous abrutir »[18]. Les enseignants sont  fliqués[19]. « Les procédures prennent totalement le pas sur ce qui se joue en classe »[20]. Ce sont les experts qui règnent sur l’École, instaurant un véritable règne des experts[21]. « Toute initiative doit passer par des autorisations en tout genre, des formulaires, de nouveaux systèmes d’évaluation »[22]. Des « brigades de petits chefs » sont là pour faire respecter l’ordre et les consignes, ils veillent à ce que chaque professeur remplisse les nombreuses tâches administratives qui désormais leur incombent. « On multiplie les pressions », écrit Mara Goyet[23].

Aussi, une consigne qui, autrefois pouvait passer pour contestable, à savoir, mettre l’élève au centre de l’École, reprend-elle toute son actualité dans l’actuel contexte, formaliste et bureaucratique, où ce qui semble prévaloir n’est pas que les élèves soient instruits et éduqués, mais que le système perdure en l’état, ce qui pousse ses partisans, la hiérarchie moyenne (inspecteur, chef d’établissement), et les décideurs, à tenir des discours autojustificateurs qui visent à pérenniser un fonctionnement, une organisation et une rationalité qui n’a de rationnel que le nom. Ce qui compte, c’est que l’École continue de fonctionner, même si c’est à vide.

Il faut beaucoup de force aux enseignants actuels pour résister à une telle entreprise de décervèlement et de mise au pas. Et le constat établi par cette collègue lucide et motivée, est sans appel : « nous avons perdu notre élan », lance-t-elle. Le poids de l’institution, de ses règles, consignes et règlements en tout genre, empêche les enseignants encore motivés de sauver ce qui peut l’être[24], alors qu’« avec un peu plus de liberté dans le mouvement, on pourrait arranger les choses ». D’un côté, l’École met en avant l’épanouissement des élèves, « elle se vautre dans un délire de mièvrerie consensuelle »[25]. De l’autre, elle met en place un fonctionnement de type dictatorial, d’« une brutalité sans égale ». Elle continue à imposer à l’ensemble des élèves, de la maternelle à l’université, un idéal qui remonte au XIXe siècle et n’est en rien adapté aux besoins du XXIe siècle. Et cette imposition est d’autant plus perverse et pernicieuse, qu’elle se pare de vertus et de beaux sentiments égalitaires[26] et généreux. Comment prétendre, en effet, échapper à l’emprise d’un tel système qui entend, à l’en croire, faire le bonheur de tous, assurer l’égalité entre tous les élèves, quelle que soit leur origine sociale et élever le niveau général de la culture dans notre pays ?

Jean-Daniel Rohart


[1] Mara Goyet, Collège brutal. Café Voltaire, Éditions Flammarion, 2012.

[2] C.G. Jung, Charles Kerényi, Serge Radin, Le fripon divin, Librairie de l’Université, Georg & Cie, 1958. Voir aussi Jean-Daniel Rohart, Comment réenchanter l’École ? Plaidoyer pour une éducation postmoderne. Collection « La quête du Soi », pensée jungienne et action éducative. Éditions Dervy, février 2013.

[3] Mara Goyet, Collège brutal, Op. cit., p.63.

[4] Mara Goyet, Collège brutal, Op. cit., p.22.

[5] Carl Rogers et l’action éducative (sous la direction de Jean-Daniel Rohart) - Préface de Guy Avanzini et postface d'André de Peretti. La Chronique Sociale, Janvier 2008.

[6] Mara Goyet, Collège brutal, Op. cit., p.8.

[7] Mara Goyet, Collège brutal, Op. cit., p.45.

[8] Mara Goyet, Collège brutal, Op. cit., p.55. Voir aussi Peter Sloterdijk in : Alain Finkielkraut, Peter Sloterdijk, Les battements du monde Dialogue, Pauvert, 2003, p.88 : « D’un côté, les vrais problèmes ne sont pas vraiment perçus. On parle trop peu, en effet, de cette crise énorme du système éducatif ».

[9]   Mara Goyet, Collège brutal, Op. cit., p.50.

[10] Mara Goyet, Collège brutal, Op. cit., p.52.

[11] Mara Goyet, Collège brutal, Op. cit., p.43.

[12] Mara Goyet, Collège brutal, Op. cit., p.46.

[13] Mara Goyet, Collège brutal, Op. cit., p.65.

[14] Mara Goyet, Collège brutal, Op. cit., p.72.

[15] Mara Goyet, Collège brutal, Op. cit., p.67.

[16] Mara Goyet, Collège brutal, Op. cit., p.76.

[17] Mara Goyet, Collège brutal, Op. cit., p.11.

[18] Mara Goyet, Collège brutal, Op. cit., p.77.

[19] Mara Goyet, Collège brutal, Op. cit., p.76.

[20] Mara Goyet, Collège brutal, Op. cit., p.75.

[21] Voir ce qu’écrit Mireille Grange, professeur de français en collège et en zone d’éducation prioritaire in : « Enseigner les lettres aujourd’hui ». Alain Finkielkraut, Marc Baconnet, Mireille Grange, RÉPLIQUES, Éditions du Tricorne. France Culture, pp.44-45.

[22] Mara Goyet, Collège brutal, Op. cit., p.89.

[23] Mara Goyet, Collège brutal, Op. cit., p.73.

[24] Mara Goyet, Collège brutal, Op. cit., p.64.

[25] Mara Goyet, Collège brutal, Op. cit., p.89.

[26] « Il y a, hélas, une confusion entretenue entre identité et égalité. L’égalité suppose une acceptation des différences, une équation de mise en relation sociale [A=B]. L’identité exclut toute différence, par définition ». (Lettre de André de Peretti. Extrait). Ce sentiment est confirmé par les chercheurs. Marie Duru-Bellat, par exemple, qui écrit : « C’est le plus grand formalisme qui règne désormais ».

 

 La littérature sans estomac


 Pierre Jourde, L'esprit des péninsules, 2002.


Jetant un regard drôle, acéré et décapant sur la littérature actuelle et en dressant un large panorama, Pierre Jourde avance l'idée que « la banalité (y) tient (souvent) lieu d'inventivité ». L'auteur de La littérature sans estomac, inventorie ces livres qui n'ont « rien à (nous) raconter, à part une histoire banale et inepte ». La banalité des histoires et des personnages s'étale de nos jours, c'est vrai, à longueur de pages, mais si l'on en croit les auteurs de ces médiocres fictions, il s'agirait d'un banal extraordinaire transcendant le banal ordinaire, alors que l'on aurait pu croire qu'il s'agissait d'occulter sa propre banalité en faisant de la banalité la norme de toutes choses. La banalité ne serait qu'apparente, elle serait due à la mauvaise qualité de notre regard, un regard trop hâtif et superficiel, dont l'auteur viendrait nous guérir, rééduquant notre manière d'appréhender le monde et nous faisant retrouver la dimension « poétique » du quotidien le plus banal et ordinaire, contribuant par son « art » à nous faire retrouver goût pour le monde et la vie simple, au mépris de toute exigence ontologique un peu sérieuse, mais n'excluant nullement l'humour.

L'intensité et l'authenticité ne sont pas mises à l'honneur dans tous ces récits ennuyeux, il suffit de faire intense, de faire authentique. Si le critère moral n'est pas premier en matière de littérature, il existe cependant chez tout écrivain un respect de la vérité ou une absence totale de vérité, laquelle n'entraîne pas une condamnation morale mais provoque un dégoût certain et un profond ennui, le lecteur ayant l'impression qu'il a droit à un certain respect de la part de l'auteur, tout comme le réel a aussi droit à une certaine forme de respect et n'est pas là pour servir de faire-valoir au narcissisme et à la bêtise de celui qui s'auto-proclame écrivain avec la complicité du monde éditorial et de certains critiques sans âme. « Le vertige (c'est vrai) saisit » parfois le lecteur face à tant de médiocrité fière d'elle-même et tout notre être refuse de participer à cette triste farce.

Dans la société actuelle, il y a plus grave, peut-on être tenté de penser, mais on peut aussi considérer que le triste état de notre littérature est un symptôme qui nous parle de l'état de notre société et que la pseudo littérature qui a tendance à proliférer et à nous envahir reflète des phénomènes de décomposition, de déréalisation et de dépoétisation. « L'invasion de ces niaiseries étouffe la littérature française », elle étouffe nos contemporains, surtout ceux qui, dans leur quête, attendent beaucoup de la littérature et ne souhaitent pas qu'elle se réduise à un passe-temps comme un autre, considérant qu'elle peut contribuer à modifier le réel en profondeur, qu'elle peut nourrir l'Âme du lecteur et celle du monde et que le recours aux métaphores n'obéit pas à une simple exigence stylistique, n'est pas une technique parmi d'autres, mais engage tout un rapport au monde et postule qu'il existe un arrière-monde qu'elle cherche à faire apparaître en établissant un réseau de correspondances entre le monde tel qu'il est dans son prosaïsme et celui qu'un regard plus acéré cherche à révéler à notre conscience.

Un style qui revendique haut et fort sa sécheresse et son dépouillement systématique et qui dédaigne résolument la métaphore traduit une attitude existentielle particulière, contribue à l'appauvrissement du monde, il conduit inéluctablement à une déréalisation qui est aussi désincarnation et perte de l'Âme (p.67) car en littérature, le corps et l'âme, le style, les mots et le fond sont indissociablement liés. Cette radicale sécheresse du style si prétentieusement revendiquée par les auteurs actuels sert d'alibi à une pauvreté intérieure et traduit en creux une sécheresse ontologique.

Il existe une vérité littéraire, n'en déplaise à certains auteurs, à certains éditeurs, à certains lecteurs. Une telle affirmation ne se confond pas avec une attitude idolâtrique envers la littérature, toutes les formes d'idolâtrie traduisent un manque d'enracinement, signe de dépérissement de l'être. Il existe aussi une forme particulière de responsabilité des écrivains, responsabilité éthique ou plus exactement ontologique, que les écrivains actuels ont tendance à oublier, se faisant les complices d'une ambiance générale située sur le versant dépressif et caractérisé par la perte du sens et le cynisme. La névrose contemporaine est le symptôme d'une perte de reliance symbolique, à laquelle contribuent des écrivains sans scrupules et sans âme que seule animent l'affirmation tapageuse et narcissique de leur petit moi ou le goût du lucre et de la célébrité facile et médiatique.

Il existe une vérité, vérité mystérieuse vers laquelle nous tendons de tout notre être et que la littérature contribue à faire émerger, « le style seul dit (cette) vérité ». Critiquer le style actuel, en dénoncer le vide et l'insignifiance le plus souvent ostentatoire et fière d'elle-même, ce n'est pas simplement critiquer une certaine forme littéraire au nom de ses propres goûts, c'est pointer un phénomène beaucoup plus profond et qui engage tout notre être. Parler du « vide d'une littérature qui fait semblant », ainsi que le fait Pierre Jourde, c'est se situer résolument sur le plan ontologique, celui du mystère de l'être qui mérite mieux que de simples poses et artifices ou que des niaiseries ou des procédés stylistiques creux ou ronflants se substituant à la recherche du sens dont la littérature peut être un des authentiques artisans.

Jean-Daniel Rohart.

 

                                     La vie et l’éducation  Suivi de  Comment réenchanter l’école ?

                                                                                                              

Jean-Daniel Rohart - Paris, L'Harmattan, 2005, 246 pages.

Non, ce n'est pas un livre de plus sur l'école, les faillites de l'enseignement et les désarrois du professeur. L'essai de Jean-Daniel Rohart, enseignant depuis trente ans, agrégé d'espagnol est un livre de réflexion pédagogique et de témoignage. L'auteur connaît son sujet et pourtant ne professe jamais. Loin des solutions « toutes faites » et des miracles, il préfère à l'éducation, la notion de « révélation » du savoir. Jean-Daniel Rohart a la foi et nous la transmet. Il sait évoquer l'amitié « profs-élèves », la découverte de l'autre, l'humeur du professeur, des vertus essentielles pour « réenchanter » selon ses propres mots. Un programme ambitieux mais un beau programme. Le système est passé au crible : professeur, principal, inspecteur. Jamais pourtant l'auteur ne critique le système ; il se contente de s'interroger et par là-même de nous interroger.

Éric Poindron, RCA mag, Reims.

 

Cet ouvrage fait plonger le lecteur dans la vie d'un enseignant, confronté à tous les problèmes que l'on voir régulièrement présentés sur les écrans de nos télévisions, et toutes les questions sur la pratique de l'enseignement. Le constat est sombre, et quand même porteur d'espoir. Sombre, car toutes les tensions de la vie sociétale se déploient en terrain clos à l'école (pertes des repères, dévalorisation du père générant une crise de l'autorité et au final la violence à la maison comme à l'extérieur etc.), et le portrait est à ce point de vue saisissant : désespérance et désenchantement des profs, confrontés à des situations de crise auxquelles ils ne sont pas prêts ; pression, stress et anxiété pour les élèves. Le nombre de troubles psychologiques est en constante augmentation aussi bien chez les enseignants que les élèves ! Porteur d'espoir, car l'auteur défend la thèse que toute crise débouche sur une remise en question, et un mûrissement. L'enseignement devient ainsi un terrain de connaissance de soi, où l' « ordinaire », la routine, sont souvent bousculés. Ce livre, issu d'un passionné de la pédagogie, est à la fois très universitaire par ses nombreuses citations, et plein d'humanité par son aspect concret, de « terrain ».

Article paru dans la Revue 3ème Millénaire.

 


Face à la tonalité morose et dépressive de la littérature pédagogique contemporaine, ce livre paraîtra à bon droit original. En effet, après plus de 30 ans d'enseignement de l'espagnol en divers lycées de province, et sans cacher les difficultés qu'il a rencontrées, l'auteur a intégralement gardé non pas ses illusions mais sa passion d'éduquer. C'est pourquoi – et c'est l'objet de ses diverses et nombreuses publications – il a le souci d'apporter sa contribution à la sédation de la crise de l’École. N'ignorant ni le déclin de la société globale, ni le blocage de la transmission de la culture, mobilisant des courants de pensée qu'il connaît bien – spécialement Don Bosco, Jung et Rogers – il abandonne aux groupes de pression la récrimination sur l'absence de moyens, la dogmatisation de préjugés idéologiques et le bavardage démagogique ; il sait, quant à lui, que les problèmes tiennent à l'occultation des fins et des valeurs et à l'éclipse d'une éthique, d'où procède la mauvaise qualité des relations entre les partenaires de l'institution scolaire. Méfiant à l'égard d'une action politique qui se prétendrait autosuffisante, il subordonne la réactivation des motivations des élèves à une amélioration du rapport enseignant-enseignés, c'est-à-dire à l'influence contagieuse de personnalités rayonnantes, susceptibles de ranimer le milieu, d'amener chacun à percevoir et à éprouver son éducabilité et à retrouver un goût de vivre. C'est cela qui pourra « réenchanter » l’École. C'est donc à un renouveau éthique, à une « éthique polythéiste de l'éducation » (page 169) que convie Jean-Daniel Rohart avec alacrité, en recourant ici particulièrement à Jung.

Sans doute souhaiterait-on, ici ou là, une formalisation plus poussée mais on doit surtout féliciter l'auteur de cet ouvrage tonique et fortifiant, bien de nature à nourrir le goût de la réflexion et de la recherche pédagogique.

Guy Avanzini.


« Attention école, du signe désenchanté au Phénix enflammé »

Cet essai de Jean-Daniel Rohart décompose les malaises de l’École avec une lucidité qui risque de prendre à rebrousse-plumes les cohortes d’autruches prisonnières de certitudes. Il s’adresse à ceux qui voudraient encore accorder un sens à ce signe précieux, quasi exclusivement associé au malaise par un système politico-médiatique avide de simplifications sensationnelles ou clientélistes.

Courageusement, même dans l’humour, ce livre tente d’orienter tous les acteurs de l’éducation vers une réflexion éthique qui vole largement – et heureusement ! – au-dessus des querelles boutiquières et des caquetages de basse-cour où les dindons et les paons finissent toujours, dans un silence gêné, par se joindre aux autruches ensablées déjà évoquées.

On y lit enfin que l’institution entière est clairement anxiogène et pathogène :

    - Souffrance des élèves, sur lesquels s’exercent les pressions parentales, professorales et plus largement sociales, et qui ressentent plus ou moins confusément l’entreprise de tri sélectif opérée par le jeu des filières dont la finalité se réduit à la réussite ou bien à l’échec professionnels.

    - Souffrance des professeurs, vecteurs et outils parfois consentants de cette violence économique, qui se voient persécutés par les élèves, dénigrés par l’Opinion, abandonnés par une hiérarchie aveugle.

    - Déliquescence vaniteuse de la formation, absurdité infantilisante de l’inspection, ambitions restreintes des syndicats, discours obsessionnels et pervertis autour de l’égalité des chances… autant de facteurs aggravant le fameux « malaise » d’une institution qui se prétend formatrice de l’individu et qui n’est, à tout prendre, qu’un élevage d’élèves/alevins pataugeant dans des bassins de formation dont les eaux troubles accentuent encore la peur des requins régissant la Loi du Marché.

Cette réduction de la fonction de l’École à une simple antichambre de la sphère professionnelle fait donc l’objet d’une critique précise et drôlement audacieuse.

Ainsi le constat, d’autant plus affligeant qu’il est évident énoncé au chapitre 8 : « Les études ne s’inscrivent pas dans la vie, elles sont le prix à payer pour entrer dans la vie professionnelle dans les meilleures conditions financières possibles. Elles ont rarement un sens pour les jeunes actuels ».

Ce désolant bilan se trouve balayé par une mise en chantier joyeuse et originale de natures thérapeutique, intellectuelle et éducative. Il était largement temps qu’un professeur fasse le chantier à l’École. Et c’est en compagnie des Jung, Bachelard, Jaspers, Nietzsche pour ne citer qu’une partie des membres de la sarabande que Jean-Daniel Rohart élabore son réenchantement.

Ce livre permettra, sinon une refonte (changer le moule ne changera pas la nature du métal), moins encore des réformes (faussement innovantes), mais peut-être de reconsidérer la vie et l’éducation en proposant précisément de mettre de la vie dans l’éducation.

Ambition vitale, éthique loin des pitoyables discours doloristes, nerveusement laïques ou orgueilleusement citoyens. Pour notre part, nous souhaitons que ce chant ne soit pas celui d’un cygne, ni même le dernier soupir d’un mammouth dépecé vivant, mais plutôt celui d’un allègre Phénix archétypique.

Philippe Cuisset, Professeur de Lettres.


 

Chercheur, mais aussi praticien passionné de la pédagogie, Jean-Daniel Rohart est avant tout, comme le dit René Barbier dans la préface, « un pédagogue ouvert à la surprise de la vie ». C’est son expérience et cette passion, affinées et pourtant malmenées par trente ans d’enseignement en France, que cet agrégé d’espagnol essaie de nous communiquer à travers son livre. Rohart est également un grand lecteur de tout ce qui traite de l’enseignement. Son texte est émaillé de nombreuses références. Les unes, fondamentales, signent les bases profondes de sa réflexion philosophique et citent abondamment Jaspers, Jung et Rogers. Les autres sont beaucoup plus en prise directe sur l’ici et maintenant du sujet et tracent de paragraphe en paragraphe la résille que Jean-Daniel Rohart tisse au fur et à mesure que sa pensée reflète l’évidence de l’actualité pédagogique.

La première partie de cet ouvrage est un constat de la situation de l’enseignement aujourd’hui. L’auteur fait état d’une crise sans précédent, déplore l’absence de caractère substantiel de l’éducation et dénonce le consumérisme culturel. Il se questionne sur le sens de l’action éducative caractérisée par le manque de démarche éthique en réponse à toutes les demandes urgentes (de la part des élèves, des parents, de la hiérarchie) auxquelles les enseignants sont exposés. L’enseignant fatigué se réfugie dans sa sphère privée ou est condamné au burn out. Car le métier est devenu un métier à haut risque.

De leur côté les élèves sont de plus en plus désinvestis et Rohart qualifie d’extériorité le rapport qu’ils entretiennent avec l’école et leurs études. Sentiment d’échec, tristesse, troubles mentaux, absentéisme mettent en évidence le problème social existant et sont autant de « symptômes du mauvais fonctionnement du système scolaire français». Les relations élèves-enseignants ne sont pas seulement conflictuelles mais tendent à devenir malsaines.

Les rapports entre les enseignants eux-mêmes semblent parfois refléter le malaise ambiant. Devant des « collègues activistes [dont] il faudrait partager toutes les valeurs », les autres « font face en ordre dispersé », se réfugient dans le cours magistral. Quant « aux chefs d’établissement…ils restent apparemment attachés à la logique hiérarchique, avec ses codes et ses règles immuables, désuètes et infantilisantes ».

Parlant de l’institution, Jean Daniel Rohart dit qu’elle « est malade des pièges et des embûches de la démocratisation…Après avoir renforcé la sélection sociale et permis un système scolaire à deux vitesses, le principe éthique de l’égalité des chances dégénère en un égalitarisme forcené et ostentatoire ». Quant à la classe politique, elle n’a pas le désir de se poser les vrais problèmes. Et Rohart de citer Vaneigem : « Les mouvements de protestation…sombrent…dans la même…stupidité que le pouvoir cacochyme qui les a provoqués 1

Ce n’est pas sans amertume que Jean-Daniel Rohart aborde le problème de la formation des enseignants. À part quelques exemples de stages ou de publications dans ce domaine, la formation à l’aspect psychologique et relationnel de la profession reste, selon lui, « frileuse…voire inexistante... [Or] elle se pose de manière urgente ». Selon l’auteur elle devrait être individualisée et centrée sur la personne de l’enseignant pour se prolonger dans une formation continuée permettant une recherche personnelle, aidée par l’institution.

Et en conclusion de cette première partie, Rohart fait un plaidoyer pour une éthique rogérienne et jungienne de l’éducation. « Faire sauter les barrières » des particularismes et du sectarisme. Une « Éducation postmoderne et polythéiste…en rupture avec l’éducation de la Modernité…caractérisée [selon Foucault] par l’attitude du surveiller et punir 2 », voici ce qu’il préconise.

La deuxième partie de ce livre est autobiographique. L’auteur nous y indique que, faute de formation, sa pensée en matière d’éducation s’est élaborée de manière autodidacte. Son message final nous invite à réenchanter le monde en « désidéologisant » l'École, à… « laisser la vie entrer à l’école ! »

Françoise Ducroux-Biass.

------------------------------------------------------------------------------------

1 Raoul Vaneigem, Avertissement aux écoliers et lycéens. Éditions Mille et une nuits. Août 1995, p.25.

2 Michel Foucault, Surveiller et punir. Naissance de la prison. Gallimard. Bibliothèque des histoires.

 

 


Copyright(c) 2006 Jean-Daniel Rohart. Tous droits réservés.