C.G. Jung

 

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      Carl Gustav JUNG

 

                                          

 

Comment aborder l’œuvre de Jung ?

 

Il y a plusieurs manières d’aborder l’œuvre de Jung, lesquelles, d’ailleurs, ne s’excluent nullement. Il existe une approche intellectuelle, théorique, conceptuelle, car la pensée de Jung, certes foisonnante, n’est pas fumeuse, comme on l’a parfois prétendu.

Dans le cas de figure d’une approche intellectuelle et livresque, nous disposons d’outils précieux :

     1.    Le vocabulaire de Carl Gustav Jung, paru en 2005, aux éditions Ellipses. Vocabulaire auquel ont participé plusieurs auteurs, dont Michel

            Cazenave, Aimé Agnel et quatre autres personnes, psychanalystes membres de la SFPA, Société Française de Psychanalyse Analytique.

     2.    Le Dictionnaire Jung, sous la direction de Aimé Agnel, c’est l’extension du livre précédent. Un outil rigoureux et très utile.

     3.    Les deux conférences de René Daval, données dans le cadre des activités du Cefri-Jung Champagne. Le titre en est  Les notions

            fondamentales de la psychanalyse jungienne (n°1 et n°2). Ces deux conférences sont disponibles en CD.

     4.    L'œuvre de Jung, bien évidemment.

     5.    Les Cahiers Jungiens de psychanalyse, qui insistent sur l’aspect clinique.

 

La deuxième manière d’aborder l’œuvre de Jung, est une approche empathique, personnelle, vivante. Elle inclut la connaissance de l’homme, et sa démarche personnelle. Cette deuxième approche est indispensable, dans le cas de Jung, dans la mesure où ses recherches personnelles, ses lectures, sa vie et l’élaboration de son œuvre, sont intimement liées.

La rédaction de ses livres obéit toujours à un questionnement personnel et constitue un élément de réponse à des questions existentielles parfois brûlantes et capitales pour l’homme et le maintien de son équilibre personnel. Ne dit-il pas, de manière certes un peu grandiloquente, dans Ma vie, son autobiographie spirituelle, que sa vie est l’histoire d’un inconscient qui s’est accompli ?

Pour ne prendre que l’exemple de l’Anima, de la découverte de l’Anima, elle s’appuie sur une expérience personnelle, que fit Jung dans sa jeunesse, la rencontre en montagne avec une jeune fille, rencontre qu’il évoque dans Ma vie[1].

Le Processus d’Individuation. Jung ne se contente pas de le théoriser peu à peu, il le vit au quotidien. Son approfondissement de la notion d’archétype est rendu possible par des rencontres et des voyages en Afrique, en Inde.

La même chose pourrait être dite du transfert dont il fit l’expérience, à travers son travail d’analyste et qu’il théorise dans un beau livre La psychologie du Transfert[2].

Toutes ces raisons et d’autres font qu’une connaissance intime de l’homme et de ses recherches personnelles sont quasiment indispensable, surtout pour celui ou celle qui veut vraiment comprendre la théorie jungienne, de l’intérieur, assimiler son anthropologie et s’en inspirer dans sa propre vie.

 

Nous disposons pour cette approche biographique de plusieurs outils :

     1.   « Ma vie ». Souvenirs, rêves et pensées, qui existe désormais en collection de poche Folio.

     2.    Le livre de Michel Cazenave, Jung. L’expérience intérieure, paru aux éditions du Rocher en 1997.

     3.    La correspondance de Jung, cinq tomes absolument passionnants et qui vont jusqu’à la fin de la vie de Jung.

     4.    Et, enfin, le livre de Deirdre Bair, intitulé Jung. Une biographie, publié en 2007, aux éditions Flammarion, dans la collection

            « Grandes Biographies ».

 

Avant ce livre, il en existait d’autres. Celui de Gérard Wehr, de Richard Noll, de Barbara Hannah, etc. J’ai recensé une quinzaine de livres, des biographies ou des livres comportant un caractère biographique. On peut dire, sommairement, que ces livres avaient tendance à tomber dans l’hagiographie ou, au contraire, dans le dénigrement, allant parfois jusqu’à proférer des accusations d’antisémitisme.

Le mérite de ce livre de Deirdre Bair est de présenter une vision nuancée, sereine, objective et distanciée, de l’homme, à égale distance de l’éloge dithyrambique et du dénigrement systématique et plus ou moins malveillant.

________________________________

[1] C.G. Jung, « Ma vie ». Souvenirs, rêves et pensées. Recueillis et publiés par Aniéla Jaffé, Collection Folio n°2251.

[2] C.G. Jung, Psychologie du transfert, Albin Michel.

 

 C.G. JUNG - Aspect biographique

 

→ Deirdre Bair, Jung : Une biographie. Flammarion, 2007. Collection Grandes Biographies.

→ Charles Baudouin, L'œuvre de Jung. Petite Bibliothèque Payot.

→ Bruno Bettelheim, Le poids d'une vie. Pluriel, Hachette, 1994.

→ Vincent Brome, Carl Gustav Jung. L'homme et le mythe. Hachette, 1986.

→ Linda Donn, Freud et Jung. De l'amitié à la rupture. PUF, 1995. Collection « Histoire de la psychanalyse ».

→ Claire Dunne, Carl Gustav Jung, guérisseur de l’âme. Biographie illustrée. Les Éditions de L’Homme.

→ Marie-Louise von Franz, C.G. Jung. Son mythe en notre temps. Buchet/Chastel, 1975.

→ Christian Gaillard, Le musée imaginaire de Carl Gustav Jung. Stock, 1998.

→ Imelda Gaudissart, Emma Jung, Analyste et écrivain. Mobiles témoignages, Éditions L'Age d'Homme, 2010.

→ Anne Gugenheim-Wolff, Carl Gustav Jung, historien de l'inconscient. Éditions du Vecchi, 2001.

→ Barbara Hannah,  Jung. Sa vie et son œuvre. Fontaine de Pierre. Dervy-Livres, 1989.

→ C.G. Jung, Correspondance. 1906-1940. Albin Michel.

→ C.G. Jung, Correspondance. 1941-1949. Albin Michel.

→ C.G. Jung, Correspondance. 1950-1954. Albin Michel.

→ C.G. Jung, Correspondance. 1955-1957. Albin Michel.

→ C.G. Jung, Correspondance. 1958-1961. Albin Michel.

→ C.G. Jung, “Ma vie”. Souvenirs, rêves et pensées. Recueillis et publiés par Aniéla Jaffé, Collection Folio n°2251.

C.G. Jung parle. Rencontres et interviews. Buchet/Chastel, 1985.

→ Danielle Kaswin-Bonnefond, Carl Gustav Jung. PUF, 2003. Collection « Psychanalystes aujourd'hui ».

→ Nadia Neri, Femmes autour de Jung. Publié par Les Cahiers Jungiens de psychanalyse. Paris, 2002 (édition originale en italien).

→ Richard Noll, Jung. « Le christ aryen ». Les secrets d'une vie. Éditions Plon, 1999.

→ Kaj Noschis, Carl Gustav Jung. Vie et psychologie. Presses polytechniques et universitaires romandes. Collection « Le savoir suisse », 2004.

→ Miguel Serrano, C.G. Jung et Hermann Hesse. Récit de deux amitiés. Georg éditeur, 1991 (titre original de l'édition espagnole : El círculo Hermético).

→ Sabina Spielrein, Sabina Spielrein entre Freud et Jung. Aubier-Montaigne, 1981.

→ Anthony Stevens, L'œuvre-vie. Éditions du Félin, 1994.

→ Gerhard Wehr, Carl Gustav Jung. Sa vie, son œuvre, son rayonnement. Éditions Médias-Entrelacs, 1993 (Réédition en 2008).

→ Colin Wilson, Carl Gustav Jung. Le seigneur de l'inconscient. Éditions du Rocher, 1985.

 

 

    Pourquoi tant de hargne contre Jung ?

 

 

 Notes de lectures

À propos de L'inconscient spirituel de Jean-Claude Larchet et de Jung et la mystique de Steve Melanson, etc.

 

Le livre de Jean-Claude Larchet, paru pour la première fois en 2005, sous le titre L'inconscient spirituel1, contient deux chapitres consacrés respectivement à Freud et le christianisme et Jung et le christianisme. Il s'agit d'un livre bien documenté, qui peut alimenter notre réflexion intellectuelle et notre quête spirituelle, mais l'auteur semble partager avec d'autres un certain préjugé contre Jung.

Dans l'opposition radicale à la psychanalyse en tant que méthode thérapeutique et cure d'âme (avec l'anthropologie sur laquelle elle s'appuie) on sent souvent, en effet, une hostilité plus grande envers Jung qu'envers Freud. Alors que presque tout le monde s'accorde pour reconnaître le fondement athée et matérialiste de la construction intellectuelle de Freud2, et la prise en compte par Jung de la dimension religieuse3 (mais on préfère parfois parler en mauvaise part de spiritualisme, de gnosticisme ou de « mysticisme4 »), on note généralement une hargne contre Jung chez ceux qui se veulent défenseurs de la religion, et du christianisme plus particulièrement5.

Au terme d'un examen serré de l'anthropologie jungienne et de ses prolongements dans les sphères thérapeutique et spirituelle, Jean-Claude Larchet écrit : « L'idée jungienne que l'homme rencontre Dieu et s'accomplit lui-même en prenant conscience du Soi (« l'individuation, écrit Jung, c'est la vie en Dieu ») est une illusion qui risque d'éloigner définitivement l'homme du Dieu véritable, de la véritable santé spirituelle et du véritable accomplissement de soi. Jung fut la première victime de cette illusion dans sa tentative d'autodéification ». L'auteur laisse de même planer un doute sur l'authenticité de l'expérience retracée dans Les Sept Sermons aux morts6, suggérant que Jung était alors en proie à un trouble psychique profond.

Et l'auteur d'appeler alors à la rescousse, pour accréditer la volonté supposément affichée par Jung, d'une autodéification, le livre polémique de Richard Noll7, dont il a lui-même l'honnêteté de reconnaître par ailleurs (p.52) qu'il s'agit d'un livre très critique.

En remarquant l'insistance avec laquelle Jean-Claude Larchet évoque la véritable religiosité, on pense à René Guénon et à sa certitude de posséder la vérité en matière religieuse, et à ce qu'écrivait Alan Watts :  « Je me suis toujours senti gêné par cette tendance à l'impérialisme spirituel qui semble l'une des conditions sine qua non pour être un bon chrétien aux yeux de la majorité d'entre eux. 8» Tout l'édifice intellectuel patiemment construit, avec des références précises et nombreuses à l'œuvre de Jung, semble soudain s'écrouler, l'auteur ruinant en un instant et en une phrase tout le travail accompli, un travail qui se voulait être une réflexion sérieuse et objective. C'est de cette manière qu'est mis fin de façon partisane et passionnelle à une étude dont on peut se demander si elle ne visait pas essentiellement à étayer un préjugé de départ. On pense ici à François Roustang, lequel parle de théorisation de son propre cas comme motivation, somme toute légitime, à tout travail de réflexion et de conceptualisation9.

Sans vouloir prendre parti pour une école psychanalytique contre une autre (Jean-Claude Larchet écrit qu'il existe plusieurs centaines de types de psychothérapie), ni se faire l'écho du vain débat médiatique qui opposa Michel Onfray, à l'occasion de la sortie de son livre sur Freud10, à Élisabeth Roudinesco, (laquelle « assassina », lors de sa parution, le livre remarquable d'objectivité, que Deirdre Bair11 a consacré à Jung) et à Gérard Miller, on peut toutefois s'étonner que ces auteurs et ces détracteurs passent le plus souvent sous silence l'œuvre de Jung ou l'attaquent de façon radicale et partisane, en un mot, avec hargne12.

La critique traditionaliste, celle de René Guénon, par exemple, semble, elle aussi, être plus sévère envers Jung qu'envers Freud13. Jean Borella qui se situe dans cette même mouvance traditionaliste est, quant à lui, plus nuancé14 et établit une différence entre Freud et Jung, même s'il n'épargne pas Jung de ses critiques, lui reprochant notamment de mêler et de confondre les plans spirituel et psychique, l'Esprit (le Pneuma) et la Psyché.

Michel Fromaget est aussi un des auteurs qui, s'inspirant du christianisme des origines et de la Patristique, développe une critique de Jung, à partir de ses propres présupposés spirituels, lesquels le font postuler la nécessité d'un retour à une anthropologie ternaire Corps, Âme (Psyché), Esprit15, mais il s'agit, dans ce cas précis, d'une critique fine et nuancée, qui tend à faire la part des choses ou qui, plutôt, exprime un regret, celui que Jung et ses continuateurs, surtout, n'aient pas approfondi davantage sa quête, dans le sens d'une spiritualité plus grande encore.

On parle parfois de la haine qui déchire les frères ennemis, une haine plus profonde et radicale que celle qui divise des ennemis que tout semble séparer de manière irréconciliable. Le théologien Raimón Panikkar pointe une autre attitude, lorsqu'il évoque le dialogue dialogal, qu'il oppose au dialogue dialectique, lequel a « pour but d'en venir à savoir qui a raison et qui a tort »16. Le dialogue dialogal permet à chacun d'approfondir sa propre démarche sans aucun parti pris, en acceptant le risque d'être converti au point de vue adverse, plutôt que de transformer d'emblée en ennemi à abattre, celui qui ne partage pas de manière inconditionnelle notre manière de penser et de sentir.

En ce qui concerne une manière tout-à-fait dépassionnée de considérer les rapports de Jung avec le christianisme, on peut signaler le livre de Julie Saint-Bris Quête de soi, quête de Dieu. Psychologie jungienne et spiritualité chrétienne17, ainsi que les livres du théologien Anselm Grün18. Le livre de Julie Saint-Bris est, comme son titre l'indique, une lecture « chrétienne » de l'œuvre de Jung, écrite par une chrétienne, un peu dans l'esprit du livre de Simone Pacot, L'évangélisation des profondeurs19. Anselm Grün ne rejette pas l'anthropologie jungienne, il en retient notamment la notion de moitié de la vie, mais les deux approches chrétienne et jungienne ne gagnent pas grand chose à ce rapprochement. Nulle greffe nouvelle, seulement une coexistence pacifique bon enfant.

Le livre de John Paul Dourley, publié en 2004, sous le titre La maladie du christianisme. L'apport de Jung à la foi, est une tentative intéressante d'établir un bilan, il est empreint d'esprit de mesure et est susceptible d'enrichir notre réflexion20.

Nous avons affaire, dans le cas de ces derniers livres, à une réflexion qui peut nourrir le dialogue entre les chrétiens et les jungiens, en montrant que, contrairement à ce qu'affirme Jean-Claude Larchet, il n'y a pas forcément de totale contradiction, ou d'incompatibilité radicale, entre ces deux démarches spirituelles, surtout si l'on considère le versant ésotérique du christianisme.

Enfin, last but not least, le livre de Steve Melanson, Jung et la mystique21, avec une érudition maîtrisée et une grande profondeur, suggère des pistes nouvelles et éclaire les rapports de Jung au religieux (et au christianisme), en ne restant pas à la surface seulement intellectuelle et polémique des choses, en faisant constamment référence à Maître Eckhart, ainsi qu'à Réponse à Job22, œuvre de Jung, que Jean-Claude Larchet n'évoque qu'au passage, et sans en tirer tout le parti possible, alors qu'il s'agit d'un ouvrage fondamental pour comprendre vraiment la pensée de Jung en matière de spiritualité23.

Ce qui semble à l'ordre archétypique et spirituel de jour, ne serait-ce pas une approche mystique du christianisme, plutôt que l'enfermement dans de vaines querelles d'arrière-garde et de vains débats intellectuels, théologiques et dogmatiques, le plus souvent fastidieux en effet (voir note 4). Tel semble bien être le sentiment de Steve Melanson, comme celui d'Alan Watts, lequel écrivait que « la religion chrétienne aura à subir l'une de ses transformations périodiques par déplacement de son centre d'intérêt. L'accent tendra en effet de plus en plus à être mis sur Dieu en tant que Saint-Esprit24».

 

Jean-Daniel Rohart25.

 

 

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1 Jean-Claude Larchet, L'inconscient spirituel, Éditions du Cerf, 2ème édition 2008. Respectivement pp.31-45 et 47-104.

2 Jean-Claude Larchet, Op. cit., p.38 : « Établie sur une profession de foi athéiste, l'anthropologie freudienne est une anthropologie matérialiste ».

3 Idem, p.48. L'auteur parle de « la sympathie de Jung à l'égard du phénomène religieux en général et du christianisme en particulier ».

4 Les théologiens, Jung nous le dit lui-même, l'ont considéré, tantôt comme un mystique et tantôt comme un matérialiste. Jung était-il un anti-spiritualiste, ainsi que l'affirmait Keyserling ? Ou un Spiritualiste, ainsi que le prétendait Martin Buber ? Était-il un gnostique ou un agnostique, un théiste, un athée, un mystique ou un matérialiste, ainsi que le considérèrent les théologiens ? (« Le problème religieux dans l'œuvre de Jung » par Hélène Kiener in L'Herne. C. Gustav Jung, pp.246-262). Ce qui est certain, c'est que « tout verbiage religieux (lui paraissait) fastidieux ».

5 Philippe Julien tente un premier bilan sur l'apport respectif de Freud, de Jung et de Lacan, au phénomène religieux, dans La psychanalyse et le religieux. Freud, Jung, Lacan. Éditions du Cerf, 2008, tandis qu'Allouch convoque Lacan et Michel Foucault, dans un essai intitulé : La psychanalyse est-elle un exercice spirituel ? livre qui nous remet en mémoire le travail que consacra Jung aux exercices spirituels de Ignace de Loyola.

6 Carl Gustav Jung, Les Sept Sermons aux morts. Carnets de l'Herne, 2006. Voir aussi : Christine Maillard, Du Plérome à l' Étoile. Les Sept Sermons aux Morts de Carl Gustav Jung. Presses Universitaires de Nancy (épuisé).

7 Richard Noll, Jung, « le christ aryen ». Les secrets d'une vie. Éditions Plon, 1999.

8 Alan Watts, Face à Dieu. Nécessité d'une religion mystique. Éditions Denoël / Gonthier, 1981, p.8. Le sous-titre qui apparaît sur la page de couverture est : Y-a-t-il un mysticisme chrétien ?

9 François Roustang, Un destin si funeste. Les Éditions de Minuit, 1976.

10 Michel Onfray, Le crépuscule d'une idole. L'affabulation freudienne, Éditions Grasset, 2010.

11 Deirdre Bair, Jung. Une biographie, Éditions Flammarion, Collection « grandes biographies », Paris, 2007.

12 Voir Roger Dadoun, La psychanalyse politique. Que Sais-je ? N°2948, p.82 et p.87. L'auteur dit de « l'outillage conceptuel » de Jung qu'il est approximatif et surtout redondant ». À propos du système jungien de pensée, il emploie les termes de confusionnisme et de frivolité intellectuelle.

13 René Guénon, Symboles de la Science sacrée, Nrf Gallimard.

14 Jean Borella, La crise du symbolisme religieux, Collection Théôria, L'Harmattan, 2008. Et Patrick Geay, Hermès Trahi. Impostures philosophiques et néo-spiritualisme d'après l'œuvre de René Guenon. Dervy, 1996. Réédité chez L'Harmattan dans la collection Théôria.

15 Michel Fromaget, Modernité et Désarroi ou l'Âme privée d'Esprit, Éditions Le Mercure Dauphinois, 2007. Et : Eros, Philia, Agapè. Nouveaux Essais d'Anthropologie Spirituelle, Éditions Romaines.

16 Raimón Panikkar, Entre Dieu et le cosmos. Une vision non dualiste de la réalité ; Entretiens avec Gwendoline Jarczyk, Collection « L'expérience intérieure », Éditions Albin Michel, 1998, p.149.

17 Julie Saint-Bris, Quête de soi, quête de Dieu. Psychologie jungienne et spiritualité chrétienne, Presses de la Renaissance, 2009. Et Jean-François Noël, Le désir inconscient de Dieu, Desclée de Brouwer, 2008.

18 Voir notamment Anselm Grün, La crise du milieu de la vie. Une approche spirituelle. Éditions Médiaspaul, onzième édition, 2009.

19 Simone Pacot, L'évangélisation des profondeurs, Éditions du Cerf.

20 John Paul Dourley, La maladie du christianisme. L'apport de Jung à la foi, Éditions Albin Michel, 2004. Voir aussi Jean-Jacques Antier, C.G. Jung ou l'expérience du divin, Éditions Presses de la Renaissance, 2010, livre plus superficiel.

21 Steve Melanson, Jung et la mystique. Avec une préface de Michel Cazenave, Éditions Sully.

22 C.G. Jung, Réponse à Job, Éditions Buchet/Chastel.

23 Voir aussi C.G. Jung, Le Livre Rouge. Édition établie, introduite et annotée par Sonu Shamdasani. L'iconoclaste, La Compagnie du Livre Rouge, septembre 2011 ; Michel Cazenave, JUNG revisité II. Jung et le religieux. Éditions Entrelacs, 2012 ; Cahiers Jungiens de psychanalyse. Numéro 134, Septembre 2011, Le Livre Rouge de Jung ; Pierre Willequet, L'EGO face au divin. Naissance du Moi et expériences mystiques. Éditions Slatkine, Genève, 2010 ; C.G. Jung, Le Divin dans l'homme. Lettres sur les religions. Choisies et présentées par Michel Cazenave, Albin Michel, 1999. Et Simone WEIL. Sous la direction de Chantal Delsol, Éditions du Cerf, Paris, 2000. Spécialement Maria Clara Lucchetti Bingemer, « Simone Weil : une mystique pour le XXIe siècle », pp.633-664.

24 Alan Watts, Op. cit., p.222. L'auteur ajoute que : « Il leur faut aller vers ce centre mystique qui se tient au-delà de toutes les formes ordinaires de symbolisme ». Pour lui, il y a désormais nécessité d'une religion mystique. Voir aussi Michel Cazenave, Angèle de Foligno. Spiritualités vivantes. Éditions Albin Michel, p.197. À propos de Saint François d'Assise : « absence évidente de toute référence à l'Église dans son rôle de modèle ou d'initiatrice de l'âme, au profit de la révélation intérieure et de l'expérience immédiate de la Parole divine ». Et L. Aurigemma, L'expérience mystique du Rien et l'expérience jungienne du Soi. Cassette du Groupe d' Études C.G. Jung 4 Lot 190.

25 Jean-Daniel Rohart, Vers une nouvelle religiosité ? (Entre psychanalyse et mysticisme). Inédit à ce jour.

 

 

    Carl Gustav JUNG et l’éducation

A ma connaissance,  Carl Gustav JUNG s’est assez peu exprimé, en tout cas de manière explicite,  sur la question de l’éducation[1], mais ce qu’il nous dit me semble tout à fait capital ; Donnons lui la parole un peu longuement. 

J.D. Rohart

 

« Aussi pouvons-nous sans crainte, affirmer que le Saint Empire Romain germanique n’a nullement reconnu que Fr. Schiller était un éducateur. Par contre, la furor teutonicus s’est jetée sur la pédagogie – autrement dit sur l’éducation des enfants, - a fait de la pédagogie infantine, déterré l’infantile dans l’adulte et aussi, fait de l’enfance un état tellement important pour la vie et la destinée, que le sens et la possibilité de création furent refoulés entièrement dans l’ombre pour l’existence adulte ultérieure. Plus encore, on a surabondamment chanté notre époque comme l’âge de l’enfant.  Cet accroissement et cette extension du jardin d’enfant sont tels que l’on a tout à fait oublié la problématique éducative présentée par le génie de Schiller. Personne ne songe à nier l’importance de l’enfance ni même à la sous estimer. On connaît trop les lourds dommages, qui durent souvent la vie entière, et qui résultent d’une stupide éducation à la maison ou à l’école, et l’on sait la pressante nécessité de méthodes pédagogiques rationnelles. Mais, pour saisir vraiment ce mal à la racine, il faut se poser avec le plus grand sérieux la question de savoir comment il s’est fait et comment il se fait que des méthodes éducatives sottes et bornées sont toujours employées. C’est, sans aucun doute, purement et simplement qu’il y a des éducateurs incompréhensifs qui ne sont pas des hommes, mais des automates méthodiques personnifiés. Qui veut éduquer, doit être lui-même éduqué. Or, l’étude par cœur, qui est toujours pratiquée, et l’utilisation mécanique de méthodes, ce n’est pas de l’éducation, ni pour l’enfant, ni pour l’éducateur. On dit continuellement qu’il faut développer la personnalité de l’enfant. J’admire bien entendu ce haut idéal d’éducation. Mais qui éduque en vue de la personnalité ?  La première place, la plus importante, est occupée par des parents d’ordinaire incompétents qui bien souvent restent toute leur vie à moitié ou même tout à fait des enfants. Et qui donc finalement, pourrait attendre de tous les parents ordinaires qu’ils soient des « personnalités », et qui donc a jamais pensé à imaginer des méthodes pour donner aux parents de la « personnalité » ?  C’est pour cette raison que l’on attend tout naturellement davantage du pédagogue, spécialiste formé à qui l’on a tant bien que mal enseigné la psychologie, c’est-à-dire les points de vue de celui-ci ou de celui-là, le plus souvent d’opinions fondamentalement différentes, à qui l’on a appris comment l’enfant est présumé être constitué et comment il faut le traiter. Des jeunes gens qui ont choisi la pédagogie pour profession ont posé à priori qu’ils ont été eux-mêmes éduqués. Sont-ils tous, tant qu’ils sont, des « personnalités » ? Personne sans doute, ne voudrait l’affirmer. Ils ont, l’un dans l’autre, reçu la même éducation défectueuse que les enfants qu’ils doivent éduquer et ne sont en général pas davantage des personnalités que ne le sont ceux-là. Notre problème éducatif souffre en somme de ne viser unilatéralement que l’enfant qu’il faut élever et de négliger aussi unilatéralement le fait que les éducateurs adultes n’ont pas été eux-mêmes éduqués. Après avoir terminé le cycle de ses études, chacun a l’impression d’en avoir fini avec l’éducation, d’être, en un mot, un adulte. Il ne peut certes en être autrement ; il faut qu’il soit fermement persuadé de sa compétence pour pouvoir affronter la lutte pour l’existence. Le doute et le sentiment d’incertitude le paralyseraient et l’entraveraient, ils enfouiraient la foi si nécessaire en sa propre autorité et le rendraient inapte à l’exercice de sa profession. On veut l’entendre dire qu’il connaît son affaire et qu’il en est sûr, et non qu’il doute de lui-même et de sa compétence. Le spécialiste est condamné de façon absolue à la compétence.

Chacun le sent, ce ne sont pas là des situations idéales, mais elles sont, cum grano salis, dans les circonstances données, les meilleures possibles. On ne pourrait imaginer qu’elles puissent être autres. On ne peut tout bonnement attendre davantage de l’éducateur moyen que des parents moyens. S’ils sont de bons spécialistes, il faut savoir s’en contenter comme on le fait des parents qui élèvent leurs enfants du mieux qu’ils peuvent.

Le haut idéal d’éducation de la personnalité, on ferait mieux de ne pas l’appliquer aux enfants ; car, ce que l’on entend communément par « personnalité », c’est-à-dire une totalité psychique déterminée, capable de résistance et dotée de forces, est un idéal adulte que l’on n’a pu attribuer à l’enfance qu’à une époque où l’individu est encore inconscient du problème de sa prétendue maturité ou, ce qui est pis encore, s’il en est conscient, qu’il refoule précisément pour cette raison. Je soupçonne en effet notre enthousiasme contemporain pour la pédagogie et la psychologie de l’enfant, d’une intention malhonnête : on parle de l’enfant alors que l’on devrait entendre : l’enfant en l’adulte. Car il y a dans l’adulte un enfant, un enfant éternel toujours en état de devenir, jamais terminé, qui aurait un besoin constant de soins, d’attention et d’éducation. C’est cette partie de la personnalité humaine qui voudrait se développer en totalité. Or, l’homme de notre temps est à une distance astronomique de cette totalité. Dans l’obscur pressentiment de ce qui lui fait défaut, il s’empare de l’éducation de l’enfant, il s’enthousiasme pour la psychologie infantile parce qu’il aime à supposer que dans sa propre éducation et dans le développement de son enfance quelque chose  doit avoir marché de travers, quelque chose qui pourrait être extirpé dans la génération prochaine. Cette intention est louable, certes,  mais elle échoue contre ce fait psychologique que je ne puis corriger chez l’enfant aucune faute si je continue à les commettre moi-même. Les enfants, naturellement, ne sont pas si sots que nous le pensons. Ils ne remarquent que trop bien ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas. Le conte d’Andersen où il parle des nouveaux habits du roi contient une vérité immortelle. Combien de parents m’ont annoncé leur louable intention d’épargner à leurs enfants les expériences qu’ils ont dû faire eux-mêmes dans leur enfance. Et quand je demandais : « mais êtes vous sûrs que vous avez vous-même surmonté ces erreurs ? », ils étaient tout à fait persuadés que le dommage était réparé chez eux depuis longtemps. En réalité, il ne l’était pas. Si dans leur enfance, ils avaient été élevés avec trop de sévérité, ils pouvaient gâter leurs enfants par une tolérance proche du mauvais goût ; si dans leur enfance, certains domaines de la vie leur avaient été minutieusement voilés, on les dévoilait avec autant de soin et d’explications à ses propres enfants. Ils étaient donc simplement tombés dans l’extrême, preuve puissante de la tragique persistance du vieux péché ! Cela leur avait totalement échappé. Tout ce que nous voulons modifier chez les enfants devrait d’abord être examiné avec attention pour voir si ce n’est pas quelque chose qui devrait être changé en nous-même : notre enthousiasme pédagogique par exemple. C’est à nous peut-être que cela s’adresse. Peut-être méconnaissons-nous le besoin pédagogique parce que cela éveillerait en nous le gênant souvenir que nous sommes encore des enfants par quelque côté et que nous avons largement besoin d’être éduqués.

Quoi qu’il en soit, il me semble que ce doute est tout à fait de circonstance si l’on désire faire des enfants des « personnalités ». La personnalité est un germe dans l’enfant qui n’atteint que peu à peu son plein développement au cours de la vie. Sans détermination, totalité et maturité nulle personnalité ne se manifeste. Ces trois qualités ne peuvent et ne doivent pas être le propre de l’enfant car elles le priveraient de sa qualité d’enfant. Il deviendrait un substitut d’adulte sans naturel et prématurément mûr ; mais l’éducation moderne a déjà produit des monstres de ce genre, notamment dans les cas où les parents mettent un véritable fanatisme à faire en toute circonstance de leur mieux pour les enfants et à ne « vivre que pour eux ». Cet idéal que l’on entend souvent énoncer empêche de façon absolue les parents de se développer eux-mêmes et les rend capables d’imposer aux enfants leur propre « mieux ». Mais qu’est en réalité ce prétendu « mieux », voilà ce dont les parents ne se sont jamais préoccupés pour eux-mêmes. Et ainsi on stimule les enfants à des travaux que les parents n’ont jamais faits et on leur impose des ambitions que les parents n’ont jamais réalisées. Ces méthodes et des idéaux ne produisent que des monstruosités pédagogiques.

Personne ne peut développer la « personnalité » qui n’en a pas lui-même. Et ce n’est pas l’enfant, c’est uniquement l’adulte qui peut atteindre à la personnalité comme fruit mûr d’une activité de vie orientée vers ce but. Car dans l’accès à la personnalité, il n’y a rien moins que le déploiement le meilleur possible de la totalité d’un être unique et particulier. On ne saurait prévoir le nombre infini de conditions qu’il faut remplir pour cela. Toute une vie humaine avec ses aspects biologique, social et psychique y est nécessaire. La personnalité, c’est la suprême réalisation des caractéristiques innées de l’être vivant particulier. La personnalité, c’est l’action du plus grand courage de vivre, de l’affirmation absolue de l’existant individuel et de l’adaptation la plus parfaite au donné universel avec la plus grande liberté possible de décision personnelle. Elever quelqu’un en vue de cela me semble n’être pas une petite affaire. C’est sans doute la tâche la plus haute que se soit donnée le monde moderne de l’esprit. »

            Carl Gustav JUNG

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[1] Voir Carl Gustav Jung, « Devenir de la personnalité » in Synthèses. Revue européenne Hommage à C.G. Jung, 10e année. Déc. 1955, n°115, pp.354-372.


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