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Dans
son dernier livre, Alain Bentolila
dresse un bilan à la fois terrible et juste de la situation de notre École : « Cette école est à
bout de souffle (…), elle a épuisé ses forces, elle a usé ses réserves
d'enthousiasme et de dévouement ».
Les enseignants sont, ou étaient, c'est vrai, dans une large mesure,
enthousiastes et dévoués. Cet enthousiasme et ce dévouement sont ou étaient
même ce qui caractérisait la situation de l'École, selon Karl Jaspers, lequel
écrivait : « L'inquiétude contemporaine à l'égard de l'éducation se
manifeste dans l'intensité des efforts pédagogiques (…), dans l'immense littérature
que l'on publie chaque année sur la question, dans les perfectionnements que
l'on apporte sans cesse à l'art didactique ».
Dans
le Livre vert sur l'évolution du métier d'enseignant, on peut lire que,
même si le métier d'enseignant est devenu un métier impossible,
« les professeurs ne baissent pas les bras ».
Même
si ce dévouement est ou était « plus grand qu'à aucune autre époque de
l'histoire », selon Karl Jaspers, il n'a que peu d'effet sur le
fonctionnement de l'école et sur les résultats obtenus, car « il manque de
l'appui d'une totalité et d'une cohérence », ce qui conduit le plus
souvent à l'impasse, au découragement et à la souffrance, tant chez les
professeurs, que chez les élèves et leurs parents.
Or,
cette cohérence et cette totalité ne sont vraisemblablement pas d'ordre
idéologique. Alain Bentolila a raison de dénoncer les vaines polémiques
qui déchirent « deux groupes farouchement antagonistes, persuadés chacun
de détenir la bonne solution pédagogique et la juste ligne idéologique ».
Le
diagnostic que dresse Alain Bentolila est juste, il fait d'ailleurs largement
consensus aujourd'hui. Mais c'est sur le type d'aptitude à adopter face à cette
situation, que les avis divergent. Alain Bentolila parle constamment de la
nécessité de résister moralement. Il nous faudrait, selon lui, résister
et continuer à « assumer fièrement (les) valeurs républicaines ».
Mais
si c'étaient précisément les fondements mêmes de l'École républicaine qui
étaient désormais saturés, usés ? N'y aurait-il pas urgence à imaginer d'autres
fondements que ceux que nous offre l'idéal républicain, au lieu de nous
arquebouter sur des mythes qui, à l'évidence, ne fonctionnent plus ?
Une
Nation a certes besoin de mythes fondateurs et fédérateurs, mais lorsque les
mythes qui fondaient le vivre ensemble et structuraient une culture, sont usés
et saturés, il convient d'en imaginer d'autres, de faire preuve d'inventivité
et de créativité, plutôt que de continuer à recourir à des modèles anciens,
même si ces derniers ont eu leur heure de gloire et ont produit, à une certaine
époque, des effets heureux et bénéfiques.
Rien
ne sert de résister pour donner vie et consistance à des mythes qui sont
devenus inconsistants, parce qu'ils ne répondent plus aux besoins de notre
société et de notre École, qu'ils ont désormais fait la preuve de leur
incapacité à répondre aux enjeux actuels. Il convient de repenser l'École sur
des bases anthropologiques totalement différentes, de sortir enfin du XIXe
siècle, pour entrer hardiment dans le XXIe siècle ! Car, c'est vrai,
notre École continue, en fait, de fonctionner sur des bases anthropologiques
largement héritées du XIXe siècle.
Il
convient de sortir de la mentalité idéologique et d'entreprendre un
véritable renversement anthropologique, afin de construire les bases d'une
nouvelle éducation, une éducation postmoderne qui soit adaptée aux
enjeux actuels.
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