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Cet
ouvrage procède d'un séminaire conduit en commun à l'EHESS, de
2002 à 2006, par Marie-Claude Blais, Marcel Gauchet et Dominique
Ottavi, dont il rassemble les contributions respectives... Et il
mérite incontestablement une lecture attentive car il est, à
beaucoup d'égards, très séduisant même si, par ailleurs, il
s'avère insatisfaisant.
Séduisant,
il l'est par l'intelligence pénétrante des analyses qu'il propose
de ce qu'il est convenu d'appeler la crise de l'École et, plus
largement, de l'éducation. Délaissant les banalités dont celle-ci
est l'objet, il en renouvelle la perception en changeant de niveau
d'interprétation. Qu'il s'agisse – pour en reprendre les quatre
principales thématiques – de la relation famille-école, du sens
des savoirs, de la fonction de l'autorité ou de l'articulation
société-école, il se situe en amont de l'institution scolaire
proprement dite et renvoie aux évolutions sociétales et culturelles
globales qui la fragilisent et rend compte des impasses actuelles par
des facteurs autres qu'intra-scolaires. On est loin, ici, des
bavardages simplistes et des criailleries agressives sur « le
manque de moyens » comme des sociologies causalistes à la
mode. Il s'agit, selon le titre même du livre, des « conditions
de l'éducation », qui ne sont plus réunies et qu'il
importerait de « reconstruire » ou de « réinventer »
(p.9). On appréciera particulièrement, à cet égard, les pages sur
la discontinuité entre les générations, qui compromet la
transmission, ou celles qui traitent du sens de la loi et de
l'autonomie. Comment l'École, censée préparer à la vie tout en en
mettant à l'écart, pourrait-elle à la fois motiver vis à vis de
l'univers artificiel qu'elle constitue et rejoindre celui dont elle
tient à distance ? Les enfants percevant de moins en moins en quoi
consiste le travail de leurs parents, comment pourrait-elle y
préparer et nourrir leur « désir d'apprendre » ?
(p.243). On appréciera aussi à juste titre les pages sur Freinet ou
sur Neill. Sur tous ces points, et bien d'autres encore, ce volume
stimule et active la réflexion.
Et
cependant, sans doute en raison même de l'attente que soulève sa
qualité, on est simultanément un peu déçu : d'abord par une
écriture, ici ou là inutilement elliptique, et par la discontinuité
du plan, due à la pluralité des auteurs ; davantage, ensuite, parce
que l'ampleur même des perspectives historiques et l'ambition
d'immenses fresques sociologiques laisse parfois l'impression de
jugements hâtifs ou insuffisamment argumentés, qui ne rendent pas
compte de toute la complexité des évolutions évoquées. Le thème
de la diversification ethnico-culturelle de la population scolaire
n'est guère pris en compte. Plus encore, les longues pages sur
l'autorité (3ème partie + annexe) s'avèrent insatisfaisantes. Si
le souci de bien distinguer entre autoritarisme et autorité est
pertinent, on est surpris de lire que le refus de la punitivité
violente serait attribué au « projet républicain »
(p.174), comme s'il en était l'initiateur, alors qu'elle était
récusée et progressivement condamnée depuis déjà longtemps par
toute l'évolution de la pédagogie chrétienne, dès l'époque de
Saint Vincent de Paul et, a fortiori, par tous les grands fondateurs
du début du XIXe siècle. La libéralisation de la discipline et la
valorisation d'une relation confiante n'ont attendu ni Jules Ferry ni
Ferdinand Buisson...
Au
total, on souhaiterait que ce livre se poursuive au delà de sa
conclusion. Évoquant l'éducation familiale, les auteurs écrivent
que, si « on peut y déceler une volonté de bien faire »,
« les investissements (familiaux) s'accompagnent souvent d'une
méconnaissance des vrais besoins de l'enfant » (p.264). Mais
ils ajoutent aussitôt qu'il « faudrait pousser plus loin
l'investigation pour définir ceux-ci avec précision » (id).
Pourquoi ne disent-ils pas comment remédier à « l'aveuglement »
dans lequel « les difficultés actuelles de l'éducation ont
leur racine la plus profonde » (p.265) ? On aimerait enfin leur
voir indiquer quelles sont, à leurs yeux, « les conditions de
l'éducation » qui exigent « une tache de
représentation » (p.7) et qui sont « à réinventer de
fond en comble » (p.9).
Guy
Avanzini.
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