Au secours Sauvons notre école

 

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jeandanielrohart@hotmail.com

 

 

« Au secours ! Sauvons notre École »

Un témoignage enseignant

(note de lecture)

 

Le témoignage de Sébastien Clerc, enseignant depuis huit ans dans un lycée professionnel difficile de Seine-Saint-Denis nous éclaire1 d’une manière vivante et simple sur le vécu-intérieur des enseignants et sur leurs conditions actuelles de travail.

Les mots qui reviennent le plus souvent sous la plume de ce jeune collègue cherchant à exprimer ce qu’il ressent sont révélateurs d’un vécu professionnel difficile, potentiellement déstabilisateur et dangereux, sur le plan de l’équilibre personnel.

On note les adjectifs qu’il s’applique à lui-même ou à ses collègues : éreinté, épuisé, fatigué, vidé, brisé, désespéré (et désespoir), démotivé, excédé, blessé, déprimé (dépression et déprimer), découragé, triste (et immense tristesse), dépassé, seul, effondré, impuissant, navré, déçu, humilié, bouleversé, énervé, et ceux qui renvoient à la situation dans laquelle il se trouve, lui ou ses collègues, frustrant, fatigant (et fatigue), culpabilisant, vexant, ingérable, décourageant, stressant (et le stress), un enfer, affligeant (détresse et malaise), écœurant. Le verbe souffrir revient lui aussi plusieurs fois. Les substantifs mépris, haine et dédain qui sont le mépris, la haine et le dédain que certains de ses élèves nourrissent à son égard, alors qu’il semble faire de son mieux pour les aider à réussir sur le plan scolaire, d’où un possible sentiment d’injustice accompagné de découragement.

Ce collègue insiste sur le chahut, les bavardages et le brouhaha, « un brouhaha indescriptible », écrit-il, accompagné de sonneries de portable se déclenchant au beau milieu du cours, accompagné aussi de cris d’élèves s’interpellant, et se levant en classe, ou du bruit venant des couloirs et de la cour de récréation : parfois, la porte s’ouvre brutalement pendant le cours dans l’hilarité générale.

Sont évoquées aussi dans ce livre témoignage les incivilités nombreuses, l’agressivité de certains élèves, leur manque de respect envers leurs professeurs (p.25), les insultes auxquelles il doit de temps en temps faire face – des insultes parfois graves, selon ses propres termes (p.112), les dérapages verbaux, certains lui « semblant incroyables »(p.26), cet élève par exemple lançant au proviseure, une femme donc, « tu crois j’suis v’nu là pour te sucer la bite ou quoi ? ».

Ce jeune collègue évoque la violence, violence à la fois verbale et physique, dans des cas apparemment un peu plus rares. Sébastien Clerc interroge, nous interroge, nous et les « décideurs » : « Peut-on imaginer ce que l'on ressent lorsque l'on endure ainsi, dans son métier, des menaces à l'encontre de son intégrité physique ? »2.

À ces situations répondent chez les professeurs, la frayeur et l'effroi (p.128), « la peur et la rage au ventre » (p.58), un sentiment récurrent d’usure, les cours étant vécus par ce collègue comme « une guerre d’usure », les élèves trouvant « marrant de pousser à bout (leurs) enseignants par de petites incivilités répétées » ou comme « une véritable guerre civile » (p.63). Et Sébastien Clerc de s’interroger : « d’où viennent cette violence, cette haine, cette déconnexion d’avec la réalité aussi ? »

Dans ce contexte, on peut en effet comprendre que « nombreux sont ceux parmi les plus fragiles qui flirtent gravement avec la dépression ». Face à un quotidien aussi terrible que celui que nous décrit ce jeune collègue, les enseignants sont ainsi parfois envahis par des sentiments de culpabilité et développent des formes de « paranoïa » qui les rendent susceptibles au-delà du raisonnable et les poussent à rejeter la responsabilité de la situation sur les parents ou sur la direction : comme nous l'explique notre collègue, « on rend le proviseur responsable de tout » (p.102) et « l'on perd une énergie considérable en tension avec la direction ». Sans porter de jugement moral sur ces attitudes, on peut avancer l'hypothèse qu'elles constituent des réponses inadaptées et qu'elles viennent renforcer les difficultés auxquelles sont confrontés les enseignants, certes, mais aussi les chefs d'établissements, les CPE, les surveillants, l'ensemble du personnel éducatif des établissements scolaires. Notre collègue a raison de penser qu'« il faut savoir éviter de s'opposer aveuglément, de perdre trop d'énergie dans le conflit » (p.103). Une énergie qui serait mieux utilisée si les enseignants et les personnels de direction faisaient front commun face à l'adversité s'ils parvenaient à mettre en place une véritable solidarité, des relations de compagnonnage3. L’auteur, d’ailleurs, nous confie avoir été de ceux qui ont flirté gravement avec la dépression. Cette collègue aussi, peut-être, qui un jour entra en pleurant en salle des professeurs. L’auteur ajoute qu’il a « vu plusieurs de (ses) collègues craquer »4.

Selon son témoignage, la peur finit par s’installer : « on redoute chaque fois d’en arriver au pire ». Et : « Il y a comme cela des instants de désespoir, de cruelle solitude », lance-t-il, évoquant la fois où il s’était fait cracher dessus par un élève, cet incident résumant peut-être symboliquement la situation psychologique dans laquelle se trouve ce collègue qui se sent souvent méprisé et humilié, avec la circonstance aggravante qu’il regrette parfois ce qu’il perçoit comme une lâcheté de sa part et qu’il faudrait peut-être plutôt appeler son impuissance, sentiment d’impuissance sur lequel d’ailleurs il revient, à moins qu’il ne faille parler d’une volonté de survie, d’une tactique visant à « éviter de perdre (inutilement) de l’énergie », une énergie nécessaire pour faire face aux évènements les plus graves. Une sorte de hiérarchie s’établit forcément entre les simples incivilités, et les évènements qui obligent impérativement à intervenir. Et puis, un jour, c’est le clash, le drame, comme ce drame que vécut un jour une collègue qui se fit agresser physiquement par une des ses élèves ou cette autre « qui s’est fait agresser en plein cours avec un extincteur » par un jeune cagoulé.

À la lecture de tels incidents, on se dit que dans certains cas le mot incivilité ne convient absolument pas et on imagine aisément ce que peuvent ressentir les enseignants qui doivent endurer dans l’exercice de leur métier « des menaces à l’encontre de (leur) intégrité physique » ainsi que des propos portant atteinte à leur honneur et à l’image qu’ils nourrissent d’eux-mêmes comme enseignants et comme personnes, sans parler de la vulgarité, certains élèves prenant par exemple plaisir à éructer, sans parler non plus des propos racistes ou homophobes évoqués à la page 43.

L’auteur de ce témoignage évoque aussi l’attitude des élèves envers ceux de leurs camarades qui voudraient travailler et se font traiter de bouffons ou de suceurs, s’ils tentent d’établir un dialogue constructif avec leurs enseignants, de répondre à leurs questions, s’ils rendent leurs devoirs et viennent en classe avec leurs affaires. Ces élèves motivés sont obligés, nous dit l’auteur, de « tendre l’oreille pour entendre le cours ».

Il n’y a pas que les professeurs, en effet, qui se trouvent en grande détresse, il y a aussi ces élèves sérieux et travailleurs, les bouffons et alors, il arrive que le professeur « se culpabilise un peu en tant qu’enseignant », car il se sent « responsable du bien-être des élèves » et pense que l’ambiance qu’il n’est pas parvenu à rendre propice à la construction et au travail intellectuel, est « pour quelque chose dans (le) malaise des élèves désireux de travailler en classe ».

L’élève taxé de bouffon est condamné à « accepter stoïquement les insultes » provenant des autres élèves, sinon il risque d’être en but à la violence verbale et physique de ses camarades !

Et si son professeur intervient, l’élève (le bouffon) risque de se faire agresser quelque temps après par une bande, la vengeance étant un plat qui se mange froid ! Alors que faire dans ces conditions ? Aucune solution n’apparaît totalement satisfaisante ou adaptée à des situations déconcertantes et auxquelles les enseignants ne sont généralement pas préparés à faire face, ne serait-ce que par une formation ayant au moins attiré leur attention sur ces phénomènes et leur ayant suggéré quelques pistes utiles pour les vivre avec un peu plus de calme et de sérénité.

À chaque nouvelle rentrée scolaire, paraissent de nouveaux témoignages d’enseignants sur la situation de l’École et sur le vécu professionnel des maîtres. L’on dirait qu’existe une progression dans l’horreur, la situation semble sans cesse se dégrader5 et l’on peut se demander jusqu’où ira, jusqu’où peut aller la dégradation, dégradation qu’évoque Sébastien Clerc dans : Au secours ! Sauvons notre École ?

Jean-Daniel Rohart.

 


1 Sébastien Clerc, Au secours ! Sauvons notre École, France-info / Oh ! Éditions, Août 2008.

2 Sébastien Clerc, Op. cit., p.43.

3 Jean-Daniel Rohart, Action éducative et éthique. Pour un compagnonnage des acteurs de la relation éducative. L'Harmattan, 2001.

4 Voir aussi p.58 : « Quant au moral, combien de professeurs ai-je vus plonger dans une dépression à cause d'élèves au comportement impossible ! » Et Maurice Maschino, Quand les profs craquent, Robert Laffont, 1993, Et Annie Cordié, Malaise chez l'enseignant, Éditions du Seuil.

5 Sébastien Clerc, Op. cit., p.53 : « Le crescendo ne semble pas s'arrêter. Depuis cinq ans que je suis dans mon collège, les choses se sont aggravées. Cette année, des élèves ont mis de l'essence pour essayer de brûler l'établissement. Un élève vient de se faire casser deux dents ».

 

 


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