« Là où l'amour manque, le pouvoir
occupe la place vacante [1]».
Carl Gustav Jung
« Seul moyen d'échapper à
l'abîme : retrouver la confiance perdue (…) Une confiance totale, reflet
retrouvé de l'Absolu qui nous fonde ».
Eugen Drewermann
« Il nous faut avancer vers nous-mêmes ».
Saint-Bernard
J'ai enseigné l'espagnol au lycée pendant près de quarante
ans. Dans l'exercice quotidien de cette pratique enseignante, j'ai connu, tout
comme de nombreux collègues, des moments difficiles, mais aussi de grands
moments de joie. Car, curieusement, j'ai pu conserver, tout au long de ces
années d'enseignement, un inébranlable sentiment de confiance[2],
malgré les difficultés et les épreuves qui ne manquèrent pas de surgir en
chemin. Je viens d'apprendre que dans la spiritualité juive (dans la Thora, je
crois) un lien étymologique fort relie confiance et foi[3].
(Voir aussi le mot latin Fides).
Cette confiance réelle m'a été communiquée par une
psychanalyste jungienne et par des hommes comme Carl Rogers, Carl Gustav Jung,
Krishnamurti, Michel Maffesoli[4],
Ivan Illich et, enfin, par Don Bosco et les salésiens de Don Bosco, avec une
place toute particulière pour Xavier Thévenot dont les deux textes parus en
1989[5],
ont été pour moi parmi les plus éclairants de tous les textes sur l'éducation
que j'ai pu lire, et parmi ceux qui ont le plus influencé ma pratique
enseignante au quotidien. Ces deux textes sont respectivement intitulés L'affectivité
en éducation et Don Bosco éducateur et « le système
préventif ». Un examen mené à partir de l'anthropologie psychanalytique.
J'insisterai aujourd'hui sur ma dette envers Don Bosco et
les salésiens de Don Bosco en général, Xavier Thévenot, donc, mais aussi
Jean-Marie Petitclerc et quelques autres[6].
La rencontre avec Don Bosco et les salésiens de Don Bosco a
beaucoup nourri ma réflexion et ma pratique éducative[7].
Bien que ne me considérant pas comme vraiment chrétien[8],
je pense, contrairement au philosophe Michel Onfray et au psychiatre et
écrivain Jacques Vigne[9],
qu'il est impossible de passer à la trappe deux mille ans de christianisme. Il
s'agit, à mes yeux, non pas de critiquer l'anthropologie chrétienne, en une
sorte de révolte plus ou moins infantile, faisant ainsi table rase de deux
mille ans de culture, mais de dépasser le christianisme, ainsi que nous
y invitent les recherches de Carl Gustav Jung[10].
Il me semble, de plus, que la philosophie chrétienne de
l'éducation n'a pas de quoi révolter un enseignant actuel et qu'elle
constitue un fonds et un terreau qui peut nourrir sa propre réflexion et sa
propre pratique éducative[11],
mais il existe ce que l'on pourrait appeler des intégristes de la laïcité[12] !
Prenons l'exemple de l'Amorevolezza[13]
du pédagogue chrétien de la fin du XIXe siècle, Don Bosco, elle n'est pas sans
faire penser à l'acceptation inconditionnelle d'autrui et à l'empathie
de Carl Ransom Rogers[14].
Dans la spiritualité chrétienne, il existe un lien étroit entre Foi et
confiance, un enrichissement naturel et constant. La confiance, irrationnelle
par nature, comme l'amour vrai, fait naître la Foi, la Foi nourrit le sentiment
de confiance, lorsqu'il est mis à mal par les faits et les épreuves de la vie.
Une chose est de parler de christianisme sociologique et de
moralisme catho, une autre est, de se laisser féconder par l'ésotérisme
chrétien, dans ce qu'il a de vivant, d'un point de vue archétypique
ainsi que par la philosophie chrétienne (personnaliste) de l'éducation. Si l'on
peut penser que le mythe chrétien est mort, ainsi que le suggère Carl
Gustav Jung, mort dans la mesure où il ne peut plus structurer de manière
collective notre civilisation occidentale, il peut vraisemblablement continuer
de nourrir certaines recherches personnelles. L'anthropologie chrétienne
s'appuyait sur des intuitions profondes, elle renvoyait à la dimension
universelle de l'archétype. Frithjof Schuon parle de l'unité
transcendante des religions[15].
La charité paulinienne, qui nourrit la pensée pédagogique de Don Bosco,
(voir L'Épître aux Corinthiens) me semble pouvoir nourrir la pensée d'un
pédagogue d'aujourd'hui, même s'il n'est pas chrétien. La pensée éducative de
Françoise Dolto peut aussi constituer un apport précieux à la réflexion et à
l'action éducative[16].
Parmi toutes les contributions présentes dans Éducation
et pédagogie chez Don Bosco, une place toute particulière revient à Xavier
Thévenot, salésien de Don Bosco, théologien moral et théoricien de l'éducation,
dont la réflexion se nourrit de l'anthropologie psychanalytique. La lecture
d'une de ses deux contributions intitulée L'affectivité en éducation[17],
bouleversa profondément ma façon d'envisager la relation éducative, me faisant
comprendre qu'il est nécessaire de ne pas mettre aux commandes
exclusivement le Parent-sauveur, pour employer une terminologie propre à
Éric Berne et aux autres théoriciens de l'Analyse-Transactionnelle[18].
Selon Xavier Thévenot, l'éduqué doit assumer une partie de l'angoisse et du
sentiment de culpabilité, dont s'accompagne toute relation éducative vraie et
authentique, dans la mesure où celle-ci comporte une indéniable dimension
sexuelle ou érotique. Cette constatation bouleversa en effet en profondeur ma
pédagogie et ma façon d'être en classe. Elle m'aida à résister sur le
plan psychologique, et à ne pas culpabiliser inutilement. Elle m'aida à trouver
un sens à ma pratique enseignante et à continuer à enseigner avec joie,
malgré les difficultés que je rencontrais dans l'exercice quotidien de mon
métier de professeur en lycée.
Je trouvai amusant, cocasse et paradoxal, que ce soit un
prêtre qui attire mon attention sur cette dimension, comme quoi, l'éthique
chrétienne de l'éducation ne se confond pas toujours et forcément avec un
insupportable moralisme ringard et dépassé. Le même Xavier Thévenot situe bien
l'enjeu délicat de l'attitude éducative la mieux adaptée aux objectifs qu'elle
poursuit, lorsqu'il parle de la double nécessité de « sécuriser sans
enfermer »[19]
et de « frustrer sans semer l'angoisse » : tâche délicate sans
conteste et qui ne peut souhaiter parvenir à ses fins, que grâce à l'éthique
de l'Agapè, car « il n'est pas de pédagogie réussie, si elle n'est pas
traversée par l'éthique et l'éthique de l'Agapè »[20].
Et, fort de la connaissance qu'il avait des conditions dans lesquelles s'exerce,
de nos jours, notre action pédagogique, l'auteur prenait soin d'ajouter que
cette mise en œuvre de l'Agapè se fait toujours « dans la contingence,
l'aspect partiel et le compromis des situations humaines complexes ».
La façon vraie et authentique qu'avait cet éducateur
salésien de parler de l'éducation rejoignait ma propre pratique et mon
expérience personnelle qu'elle éclaira d'un jour nouveau. Le message salésien
possède un caractère universel et s'avère tout particulièrement adapté aux
conditions dans lesquelles s'exerce de nos jours toute action éducative. Pour
moi des recoupements s'établirent de manière toute naturelle entre Carl Rogers,
Don Bosco, Paul Diel, Carl Gustav Jung, Krishnamurti[21]
et quelques autres pédagogues authentiques.
______________________________________________
[1]
Voir Adolf Guggenbühl-Craig, Pouvoir et relation d'aide. Suivi de Possibilités
et impossibilités de la formation de l'analyste jungien. Pierre Mardaga
éditeur. Avec un Avant-propos de Jean-Pierre Legrand.
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