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  Peut-on encore enseigner dans le fil de son bois ?

 

           « Notre institution semble chaque jour davantage plus préoccupée par son fonctionnement,

               son organisation, sa rationalisation  que par le niveau des élèves ».  Mara Goyet.

 

           « L’éducation tend à devenir un classement plus qu’un contenu ».  Marie Duru-Bellat.

 

Avant, il y avait les cahiers de textes « papier », que la plupart des enseignants remplissaient après-coup, pour se mettre en règle et ne pas avoir d’ennui avec la Hiérarchie. Ce qu’ils y écrivaient ne correspondait pas toujours forcément à ce qu’ils avaient étudié avec leurs élèves. L’essentiel était qu’il y eût une trace de leur travail supposé. Tout le monde ou presque était content et fier de l’être.

De nos jours, progrès technique oblige, il y a le cahier de texte électronique ! Les parents d’élèves, les chefs d’établissement, les inspecteurs et même les élèves, peuvent le consulter en permanence. Il paraît qu’il est impossible d’effacer ce que l’on a écrit par erreur ou par étourderie sur son cahier de texte en ligne une fois qu’il a été visé par le chef (d’établissement). Si cela était vrai, cela aurait une vertu thérapeutique, voire spirituelle, à une époque où l’on fait tout trop vite.

La liberté pédagogique autrefois reconnue aux professeurs ne semble pas y avoir gagnée. À la place, il y a bureaucratisation de la relation éducative, laquelle cesse d’être éducative, à force de bureaucratisation. Les rapports avec les élèves sont codifiés de manière paranoïaque. On note, dans le même temps, une déshumanisation de la relation éducative, laquelle déshumanisation s’accompagne d’une perte du sens. Cette remarque ne prétend nullement mettre en cause les enseignants actuels[1], elle pointe seulement le fait qu’il doit leur être extrêmement difficile, dans le contexte actuel, d’entretenir une relation qui soit chaleureuse et aidante, au sens où l’entendait Carl Rogers, par exemple[2].

Les inspecteurs (et les formateurs des anciens IUFM) s’accrochent à l’évaluation, faute de mieux, ils cherchent à faire respecter ou appliquer les consignes européennes dans l’enseignement des langues, par exemple. Ils sont plus soucieux du respect scrupuleux de la lettre, que de la dimension de l’esprit et de la créativité pédagogique.

Autrefois, il paraît que l’on pouvait encore enseigner dans le fil de son bois, selon la belle expression d’Yves Martin qui était doyen de l’inspection générale, on pouvait s’impliquer personnellement dans les tâches d’instruction et d’éducation. Aujourd’hui, écrit Mara Goyet : « nous sommes fliqués » (p.76), « on nous étouffe » (p.94), « on nous formate » (p.98), « le système devient absurde ».

Aujourd’hui, on rame, on perd son temps à remplir des tâches administratives qui sont dévoreuses d’énergie. Bientôt, on ne pourra plus instruire et éduquer du tout. L’évaluation du vent aura remplacé l’instruction et l’éducation.

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[1] Rapport d’information fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication par la mission d’information sur le métier d’enseignant  par Mme Brigitte Gonthier-Maurin Sénateur N°601 Sénat Session ordinaire de 2011-2012. Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 juin 2012. Et le Livre Vert sur l’Évolution du métier d’Enseignant, Janvier 2008. Voir aussi le beau témoignage d’une enseignante pleinement impliquée dans sa tâche d’instruction et d’éducation. Mara Goyet, Collège brutal. Café Voltaire, Flammarion, 2012.

[2] Carl Rogers et l’action éducative, Sous la direction de Jean-Daniel Rohart, La Chronique Sociale, 2008.

 


Solidarité avec Bernard Defrance ou le plaisir d’enseigner

 

SGEN – Champagne-Ardennes, Mai 97.

 

Je ne peux garder le silence. Je tiens à dire, peut-être maladroitement, car pressé par le temps, ma solidarité envers Bernard Defrance. Je voudrais seulement dire ici combien j'apprécie le travail et le courage de ce collègue qui sait s'impliquer personnellement et n'hésite pas à prendre des risques en classe. Des risques d'ailleurs mesurés, car ce n'est pas un révolté incendiaire, comme dirait Carl Rogers. Il sait, au contraire, ce qu'il fait, il est lucide, il a du métier et de l'expérience et ses livres, Le plaisir d'enseigner et La Planète lycéenne1 attestent d'une grande maîtrise, tant, dans le domaine de la réflexion pédagogique, que dans celui de la pratique éducative vivante.

S'il accepte de prendre de tels risques, c'est qu'il se propose d'humaniser l'École, de construire avec ses élèves des relations qui aient un sens et de communiquer aux adolescents qui lui sont confiés, l'amour de la philosophie. Son mérite est d'autant plus grand qu'il enseigne à des élèves du technique que l'on imagine peu motivés au départ pour la réflexion philosophique. Dans un contexte particulièrement difficile, caractérisé par une crise profonde de la relation éducative, ce collègue ose afficher son plaisir d'enseigner, à un moment où d'autres désespèrent d'enseigner, gagnés parfois par le malaise enseignant et les phénomènes, parfois graves, de burn-out et de déprime. Et ses élèves, demandera-t-on ? Leurs témoignages, publiés dans La Planète lycéenne sont éloquents, et leurs résultats aux épreuves du baccalauréat « attestent (des) qualités et de (l)'efficacité pédagogiques » de ce collègue (cf le communiqué publié par le Crap-Cahiers pédagogiques, le 10 janvier 1997).

Tout le monde s'y retrouve donc ! Ou devrait s'y retrouver. L'institution, elle aussi. Or l'institution est passée rapidement du mutisme (cf le silence complet de l'inspection régionale et générale de philosophie, au moins depuis 1982) à la suspension de fonction avec traitement pour quatre mois, et à des poursuites judiciaires.

On le sait, d'expérience, le fait n'est pas nouveau des forces malignes et ombreuses œuvrent toujours contre le changement vrai, contre la liberté intérieure, l'intrépidité, la vie et l'ouverture d'esprit.

Des attitudes telles que celles de Bernard Defrance font toujours un peu peur, réveillent l'angoisse et l'hostilité de ceux qui souffrent, comme nous, d'une névrose d'inachèvement, mais ne veulent pas se reconnaître limités et perfectibles.

La névrose, disait Carl Gustav Jung, est « la souffrance d'une âme qui n'a pas trouvé sons sens », et la souffrance, on le sait, rend rarement bon et généreux.

La question du sens effraie, on le comprend. Or, Bernard Defrance, lui, la pose violemment. C'est-à-dire avec authenticité, et, en poussant le bouchon un peu trop loin, sans doute pour susciter des réactions et obliger l'institution à enfin réagir. Une institution qui paradoxalement est d'autant plus sourcilleuse et dogmatique, qu'elle est tout-à-fait incapable d'offrir une véritable philosophie de l'éducation. À la violence institutionnelle, ce collègue oppose une autre violence, celle de la recherche de la vérité et du sens ; « La vie, écrivait Jung dans Ma vie2 est sens et non-sens. J'espère que le sens l'emportera ». C'est parce que je lutte, moi aussi, de toutes mes forces et à ma manière pour que le Sens l'emporte, notamment dans la salle de classe, que je me sens proche de ce collègue sanctionné à cause du caractère novateur et personnel de ses méthodes pédagogiques3.

Jean-Daniel Rohart.

IDÉES N°25 du 28/04/97 – page 3 –

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1 Bernard Defrance, Le plaisir d'enseigner, Quai Voltaire, 1992 et La planète lycéenne, Syros, 1996.

2 C.G. Jung, « Ma vie » Souvenirs, rêves et pensées, Recueillis et publiés par Aniéla Jaffé, Folio.

3 En plus, ce collègue est tolérant, et n'entend pas imposer ses méthodes qui, sont, écrit-il « discutables et discutées ».

 

 

 

L’angoisse et le stress à l’ École

 

Quel "soin" y apporter ? 

(L’humour, la lucidité, le calme, la confiance. La dimension de l’Âme)

 

« A la limite, les élèves ont pris l’habitude d’être complètement stressés en classe…».

Chrystel, élève de terminale

 

 

« Il s’agit de permettre aux enseignants de vivre le face à face pédagogique

comme une aventure existentielle (…) Il s’agit de retrouver dans la situation

scolaire tout ce qui lui donne sens[1] ».

Pierre DUCROS

 

 

« Le pointillisme et l’obsession qui régissent l’Ecole exhibent sans nul doute un profond souci du bien, mais plus encore une inquiétude viscérale

de toujours manquer le but ».

Michel BOUILLE[2]

 

 

« L’histoire de l’âme néglige souvent complètement quelques-uns ou plusieurs

de ces évènements (famille, école, travail, etc.) et invente spontanément

des fictions ou des “paysages intérieurs” dépourvus de

corrélation majeure avec le dehors ».

James HILLMAN

 


INTRODUCTION

J’ai choisi de traiter le thème de l’angoisse, parce que, en tant que professeur (trente années d’enseignement), je suis le témoin de l’installation, voire de la prolifération de l’angoisse[3], sentiment d’angoisse qui gagne peu à peu tous les acteurs de la relation éducative : parents d’élèves, élèves, professeurs, chefs d’établissements, et inspecteurs peut-être ?

Il existe une pathologie des institutions[4] et à l’Ecole, en l’occurrence, nous assistons à une contagion de l’angoisse, l’angoisse des uns alimentant celle des autres, en une chaîne perverse et  ininterrompue et qu’accompagnent des discours défaitistes, amères et culpabilisateurs : le discours éculé et monomaniaque de la « crise ».

Cette situation nuit à l’enseignement, à la transmission du savoir, en même temps qu’elle a des effets délétères sur la santé mentale, l’équilibre et la joie de vivre de tous les acteurs de la relation éducative. Les spécialistes de l’étude scientifique du vécu intérieur des enseignants[5] nous ont habitué à l’idée qu’il est désormais dangereux d’enseigner.

Comment remédier à la situation d’angoisse ou l’empêcher de s’étendre ?

Quels “soins” y apporter ? A qui revient-il de mettre sur pied une politique de soin, sur les plans à la fois préventif, curatif et prospectif. Quels sont les acteurs privilégiés, naturels, de cette politique ?

La notion de soin n’est-elle pas, par ailleurs, un peu ambiguë ? Qui dit soin, dit maladie ! Gardons-nous d’une médicalisation de la société, ainsi que d’une psychologisation excessive des problèmes éducatifs. L’archétype, au sens que donne C.G. JUNG à ce mot, se rit de la morale, des soins et de la médecine. James HILLMAN parle, quant à lui, de l’infermitas constitutive et « naturelle » de l’archétype.

J’ai choisi d’évoquer ici l’apport spécifique d’un des acteurs de la relation éducative : les professeurs, car, je le répète, je suis moi-même professeur, mais l’action “curative” et prophylactique des enseignants ne saurait suffire à elle seule. Il faudrait qu’elle entre dans une relation de complémentarité avec d’autres initiatives tant individuelle qu’institutionnelle. Et surtout, il faudrait que tous les acteurs de la relation éducative retrouvent la dimension de l’âme, redonnent ses droits à l’imaginal[6], à la « fiction » trop souvent oubliée, au profit du simple récit linéaire des évènements : la famille, l’école, le travail, au profit de la dimension idéologique et morale (dans un sens prescriptif, normatif et « policier »). Il faudrait en finir avec la culture de la plainte et du ressentiment[7] et s’ouvrir au vivant, sur les pas des philosophes[8] et des sages chinois, par exemple ou des « prophètes[9] » occidentaux annonçant la Postmodernité et oeuvrant à la naissance d’un paradigme anthropologique nouveau, en rupture avec la Modernité “critiquée” par Michel FOUCAULT.


 

TABLE DES MATIERES

 

Introduction

 

1 - L’angoisse et le stress dans le monde du travail : dans l’entreprise, etc.

 

2 - Les causes de l’angoisse et du stress

a - Le chômage, la précarité, la situation économique

b - La perte d’espérance en l’avenir

c - L’écroulement des idéologies

d - La perte de “valeurs” et de normes

 

3 - L’angoisse à l’Ecole

a - Les parents d’élèves et l’angoisse : des parents de plus en plus angoissés

     et procéduriers 

b - Les chefs d’établissements et l’angoisse 

c - Les élèves et l’angoisse 

d - Les professeurs et l’angoisse 

e - Groupe-classe et angoisse de morcellement

f - La peur du changement, de la liberté et de l’inventivité

 

4 - Une éthique de l’authenticité ?

 

5 - Quel remède, quel « soin » apporter à la situation ? 

a - La formation des enseignants : une formation centrée sur la personne de l’enseignant 

b - Les qualités qu’il serait souhaitable de développer chez les futurs enseignants 

·  L’humour

·  Le calme intérieur

·  La confiance

·  La lucidité et la maîtrise de sa propre subjectivité

·  Naissance d’un « regard clinique »

·  Les « valeurs » qui nous animent en tant que professeurs

c - L’attitude “rogérienne”, “jungienne” et “salésienne” en classe 

d - L’indispensable formation de la hiérarchie 

e - Les rythmes scolaires et les rythmes « naturels » et vitaux

 

6 - Limite d’une politique de soin. Ambiguïté de cette notion. Vers une

     éducation post-moderne ?

a - L’enseignement : un scénario archétypique particulier

b - L’angoisse : son caractère positif

 

Annexe

 

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[1] DUCROS Pierre.- « L’enseignement : une dynamique de systèmes » in : L’enseignant est une personne. Sous la direction d’Ada Abraham. Editions ESF.

[2] BOUILLE Michel.- L’école, histoire d’une utopie ? XVIIe -  début XXe siècle. Editions RIVAGES.

[3] Isabelle GUARDIOLA évoque : « L’augmentation très forte de la fatigue et du stress des personnels (de l’Education nationale »  in :  Des solutions internes contre la violence scolaire. Article paru dans : VALEURS MUTUALISTES  N° 243. Mai-Juin 2006, pp. 30-31.

[4] Pathologies des institutions, réalités, prévention, alternative. Sous la direction de Thierry Goguel d’Allondans et Alfred Adam. Editions Erès, Toulouse, 1990.

[5] ABRAHAM Ada.- Le monde intérieur des enseignants. Editions ERES-EAP, 1982.  L’enseignant est une personne (sous la direction d’Ada ABRAHAM), Editions ESF, 1984.  Et : Etre enseignant. Un métier impossible ? Hommage à Ada Abraham (sous la direction de Huguette Caglar) – Collection Défi-Formation, L’Harmattan.

[6] Cette notion d’imaginal créée par CORBIN a été reprise par le théoricien jungien Pierre Solié qui a théorisé la mythanalyse.

[7] ROHART Jean-Daniel.- La vie et l’éducation. Suivi de : Comment réenchanter l’Ecole ?  L’Harmattan, 2005.

[8] JULLIEN François.- NOURRIR SA VIE.  A l’écart du bonheur. Editions du Seuil, Janvier 2005.

[9] MAFFESOLI Michel.

  

Jean-Daniel ROHART

51100 Reims

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