Psychanalyse jungienne

 

AccueilPublicationsEducationTémoignagesLittérature¡ En español !MédiasRencontresCarl RogersC.G. JungInspectionDon BoscoBlog de HansNouveaux livresComptes-rendusLecturesLiens

jeandanielrohart@hotmail.com

 

 

 Les notions fondamentales de la psychanalyse jungienne

Par René Daval


Présentation de Jean-Daniel Rohart

 

 

Introduction

 

Il faut, je crois, partir de l'idée que la lecture de Jung n'est pas de tout repos.

Elle n'est pas de tout repos, car elle bouleverse nos habitudes de pensée, elle nécessite un véritable décentrage, elle modifie notre rapport à nous-mêmes, aux autres, à la culture, au monde, au fait et au vécu religieux. Pour le lire avec profit, il faut accepter de s'ouvrir sur d'autres horizons culturels, sur d'autres formes de réponse aux questions diverses que nous pose la vie : le bouddhisme, l'ésotérisme chrétien, l'Alchimie, la gnose, l'hermétisme, sans oublier la science.

Entrer dans cette œuvre foisonnante constitue une véritable aventure et requiert du temps. Ceci ne veut pas dire pour autant qu'il faudrait abandonner tout esprit de rigueur, au moment d'entreprendre cette lecture, ceci ne veut pas dire qu'il faudrait se priver des ressources intellectuelles et livresques qui sont à notre disposition. Adopter une telle attitude serait donner raison à ceux qui estiment que la pensée de Jung est fumeuse, irrationnelle et mystique, dans un sens hautement péjoratif. Aussi ai-je demandé à mon ami René Daval, de venir nous aider sur le plan intellectuel et celui de l'approche universitaire, en nous présentant les notions fondamentales de la psychanalyse jungienne et je le remercie de tout cœur d'avoir répondu à mon invitation.

* * *

Jung commence son autobiographie par ces mots : « Ma vie est l'histoire d'un inconscient qui a accompli sa réalisation (…) Pour décrire chez moi ce dernier tel qu'il a été, je ne puis me servir du langage scientifique »1. Est-ce à dire que son « outillage conceptuel (serait) approximatif et surtout redondant », comme le prétend Roger Dadoun2, lequel emploie aussi pour définir le système de pensée de Jung, les termes de confusionnisme et parle de « frivolité intellectuelle ? »3.

Le propos de Jung n'est pas seulement intellectuel. Ce qu'il cherche à faire émerger, c'est le mythe de sa vie ; son œuvre (ses livres) et sa vie ne font qu'un. Ils constituent un véritable Opus, une réalisation au sens alchimique du terme. Vouloir pénétrer le sens de cette œuvre, cet opus, constitue une véritable aventure, ainsi que le souligne avec raison, Ysé Tardan-Masquelier qui écrit : « Parcourir son œuvre est une épreuve qui demande une longue patience, car elle est immense, foisonnante, et les lignes de force qui la traversent, bien que présentes dès ses premiers écrits, ne prennent que lentement leur place définitive4 ». Le lecteur est conduit, s'il est animé du désir de comprendre empathiquement l'homme derrière ses livres et ses recherches, à suivre les méandres d'une quête, faite d'incertitudes, de moments forts, de ruptures successives, de solitude, d'angoisses, de confusions et de sentiments chaotiques, d'accablement parfois5. Ysé Tardan-Masquelier continue : « Le lecteur (…) découvre une pensée vivante, toujours en train de s'élaborer et qui présente d'emblée un aspect de processus. « Inconscient », « Symbole », « Archétype », « Individuation » sont des termes dont le sens évolue, mais pourvu qu'on fournisse l'effort honnête de la suivre, cette évolution est parfaitement cohérente »6.

La première grande rupture dans ce parcours personnel, ce fut la rupture d'avec Freud qui déstabilisa Jung et le fit frôler la psychose. Deux livres écrits à la suite l'un de l'autre, attestent la difficulté et la confusion vécues alors, Métamorphoses et symboles de la libido7 et Métamorphoses de l'âme et ses symboles8. Le deuxième marquant, par rapport au premier, dont il est une sorte de refonte effectuée postérieurement, le désir de mettre de l'ordre dans une expérience confuse et difficile où l'on sent un homme confronté à une crise grave et en proie à l'inconscient (ce livre se penche aussi sur le cas d'une patiente psychotique dont l'expérience constitue, au moins en partie, la matière). Une autre grande rupture fut constituée par la découverte de l'Alchimie, expérience décisive pour Jung, qui nous dit y avoir trouvé « les bases historiques (qu'il avait) cherchées en vain jusque là »9.

Les lectures fort nombreuses effectuées par Jung, venaient nourrir une recherche personnelle incessante, lui offrant des éléments de réponse à des questions brûlantes et capitales pour lui. Elles s'inscrivaient dans un parcours ininterrompu, dont elles constituaient un des moments et une des étapes, aux côtés de ses rencontres avec ses patients qui lui apportaient, eux aussi, tout un matériel propre à nourrir sa réflexion. Dans ce contexte, le terme de frivolité employé par Roger Dadoun pour définir la démarche intellectuelle de Jung paraît assez peu adapté.

Rentrer dans l'œuvre de Jung est une véritable aventure intellectuelle, mais pas seulement intellectuelle. Plusieurs entrées dans l'œuvre de Jung sont possibles, lesquelles ne s'excluent pas les unes les autres. Ce peut être un travail analytique mené sous l'égide d'un thérapeute jungien, travail qui réveille le processus d'individuation, processus naturel, nous dit Jung, et qui ne prend fin qu'avec notre mort. Ce peut être une entrée livresque, centrée sur l'aspect autobiographique, l'homme Jung ainsi que son expérience, apparaissant, sinon comme un modèle, du moins comme une source possible d'inspiration pour une quête personnelle. Cette dernière approche peut se nourrir avec profit de la lecture de « Ma vie », autobiographie écrite par Jung dans sa quatre-vingt quatrième année, ainsi que de sa nombreuse correspondance, laquelle s'échelonne tout au long de sa vie et comprend cinq tomes vivants et éclairants10 et dont la lecture est d'un accès facile. Elle peut se nourrir aussi de la lecture d'un livre passionnant qui vient de paraître, sous la plume de Deirdre Bair, sous le titre Jung11, ainsi que celle de Jung et l'expérience intérieure12 et de Le vocabulaire de Carl Gustav Jung13. Elle peut aussi s'appuyer sur la lecture des ouvrages d'Élie G. Humbert14 lequel pose de façon claire les notions fondamentales de la psychanalyse jungienne et à propos duquel Yvette Reynaud-Kherlakian a pu écrire : « Cette présentation de Jung a l'immense mérite d'inscrire sa démarche dans un contexte existentiel qui leste les concepts de toute la densité du vécu ».

James Hillman revient quant à lui sur les notions jungiennes comme l'Anima, par exemple, dans une perspective plus large, celle de la psychologie archétypale15.

L'œuvre théorique de Jung peut poser des problèmes de compréhension, surtout à un esprit exagérément "cartésien" et victime d'une approche exclusivement et étroitement universitaire. C'est qu'il cherche à rendre compte d'une expérience vécue, avec des mots, et les mots, on le sait, sont parfois impuissants à traduire l'expérience au plus près, d'où la nécessité de recourir au langage poétique, sur les pas, par exemple, de Rimbaud, René Char, Octavio Paz ou Charles Baudelaire, ainsi qu'aux mythes et aux symboles16. Tout son travail d'écriture a consisté à canaliser, à mettre en ordre et en forme, une forme relativement acceptable pour son lecteur, un flot provenant des tréfonds de l'inconscient et qui, sinon, faute d'être exprimé, risquait de le submerger. Tout ce travail a donc un enjeu fort, il obéit à une nécessité intérieure pressante. C'est un travail qui ne peut trouver à s'exprimer que de façon personnelle et originale et adaptée à son objet et ne peut être jugée en fonction de simples critères universitaires ou intellectuels. C'est un travail qui s'accompagne d'un style qui peut dérouter, mais que nous pouvons d'autant mieux accepter que nous sommes intéressés par le contenu (le message ?) qu'il véhicule. Message qui peut aussi, c'est vrai, susciter résistance et rejet plus ou moins viscéral, car, comme l'écrivait Jung : « L'on n'aboutit à rien si l'on ne s'entretient pas de ce qui est connu de tous. Est naïf celui qui ne comprend pas quelle injure il inflige à ses semblables en leur parlant de ce qu'ils ignorent ». Et il ajoutait : « On pardonne une telle outrecuidance uniquement à l'écrivain, au journaliste, au poète »17.

L'œuvre de Jung est une œuvre qui épouse de près les divers moments d'une quête forcément incertaine et parfois chaotique. Car Jung, on le sait désormais, faisait œuvre de pionnier dans le domaine de la psychologie des profondeurs et la vie, si l'on cherche à lui donner un sens, est elle-même incertaine et chaotique, même si Jung n'a jamais perdu, nous dit-il « le sentiment de pérennité de la vie sous l'éternel changement »18.

Les théories, les concepts sont, selon lui, nécessaires, mais ils sont forcément approximatifs et provisoires et, quand ils se transforment en dogmes, c'est, le plus souvent, pour étouffer un sentiment de doute ou d'angoisse. Christian Gaillard parle merveillement bien des concepts dont il écrit qu'« ils sont curieusement vivants, animés, dramatisés et même figuratifs ».

Avec le recul que permet le temps, et une bonne connaissance de son œuvre, on peut dégager les contours d'une anthropologie jungienne, avec ses prolongements dans le domaine éthique et éducatif19, on peut définir des notions, préciser avec une grande rigueur ce que Jung appelait le processus d'individuation, l'archétype20, l'Anima, l'animus, la Persona, la synchronicité, la quaternité, la fonction transcendante, etc.

Certaines de ces notions parlaient déjà à d'illustres contemporains de Jung, Mircea Eliade, Henry Corbin, Karl Kerényi, l'orientaliste Richard Wilhem, etc., à des anthropologues, des historiens des religions, des scientifiques et l'on peut lire avec profit la correspondance qu'il entretint avec Pauli, grand physicien de son temps21. Certaines de ces notions parlent toujours à nos contemporains et trouvent un écho chez des historiens des religions comme Ysé Tardan-Masquelier, et des scientifiques comme Michel Cassé et Besarab Nicolescu. Je pense aussi à des hommes comme Gilbert Durand, initiateur de La sociologie des profondeurs, dont Michel Maffesoli est un des continuateurs aujourd'hui, lui qui n'hésite pas à convoquer la pensée jungienne à sa manière (notamment la notion d'archétype) pour décrypter l'actuelle société travaillée en profondeur par les « valeurs » de la Postmodernité.

La pensée jungienne ouvre sans cesse de nouvelles perspectives et, contrairement à ce que prétend Roger Dadoun, elle n'introduit pas plus de complication et d'obscurité dans les figures psychiques qu'elle cherche à cerner22. Mais il faut tout un travail d'approche, un travail lent et patient, s'accompagnant d'une expérience personnelle que rien ne peut remplacer. Pour effectuer ce travail, l'on peut avoir besoin d'un guide, d'une personne qui a un long commerce avec l'œuvre, la personnalité et la quête de Jung ou avec ce que l'on pourrait appeler une attitude jungienne face à la vie et aux problèmes qu'elle pose à tout un chacun et je suis reconnaissant à René Daval d'avoir accepté de nous présenter les notions fondamentales de la psychanalyse jungienne, dont il est un fin connaisseur et de nous guider dans l'œuvre de Jung qui peut paraître confuse au départ, tant elle est riche et diverse.

Une fois cet éclaircissement théorique et conceptuel effectué, il nous restera à mettre cette pensée à l'épreuve de la vie et à tenter de la vivre à notre tour, si nous nous sentons appelé à cela, si telle est notre vocation.

 


 

1 C.G. Jung, « Ma vie ». Souvenirs, rêves et pensées. Recueillis et publiés par Aniéla Jaffé. Folio.

2 Roger Dadoun, La psychanalyse politique. Que Sais-je ? Numéro 2948, p.87.

3 Roger Dadoun, Op. cit., p.82.

4 Ysé Tardan-Masquelier, Jung et la question du sacré. Collection « Spiritualités vivantes », Albin Michel, 1998.

5 C.G. Jung, « Ma vie », Op. cit., p.192 : « Le rêve me fit une impression profonde (…) Accablé et bouleversé, je ne savait à quel saint me vouer ».

6 Ysé Tardan-Masquelier, Op. cit., p.7.

7 C.G. Jung, Métamorphoses et symboles de la libido. Paris, Montaigne, 1931.

8 C.G. Jung, Métamorphoses de l'âme et ses symboles. Georg, 1953 et Hachette, coll. Références 1996.

9 C.G. Jung, « Ma vie », Op. cit., p.233.

10 C.G. Jung, « Correspondance ». 5 tomes, Albin Michel.

11 Deirdre Bair, Jung. Flammarion, 2007, Collection « Grandes Biographies ».

12 Michel Cazenave, Jung et l'expérience intérieure. Éditions du rocher.

13 Le vocabulaire de Carl Gustav Jung. Éditions Ellipses. Cet ouvrage collectif auquel ont participé Aimé Agnel, Michel Cazenave, Claire Dorly, Suzanne Krakowiak,      Monique Leterrier et Viviane Thibaudier peut constituer un outil précieux pour approcher l'œuvre de Jung sur des bases conceptuelles claires et précises. Le     dictionnaire Jung amplifie le travail déjà effectué dans ce vocabulaire jungien.

14 Élie G. Humbert, Jung. Éditions Universitaires, Paris, 1983. Et : L'homme aux prises avec l'inconscient. Éditions Retz, Paris, 1992.

15 James Hillman, Emma Jung, Anima et Animus, Collection L'esprit jungien. Seghers.

16 Dictionnaire des symboles. Sous la direction de Michel Cazenave. Et Fabrice Midal, Petit traité de la modernité dans l'art, Presses Pocket.

17 C.G. Jung, « Ma vie », Op. cit., p.209.

18 C.G. Jung, « Ma vie », Op. cit., p.20.

19 Voir Jean-Daniel Rohart, Contribution à une nouvelle éthique de l'action éducative. L'apport de Jung (inédit).

20 Voir Michel Cazenave, Jung revisité I. La réalité de l'Âme. Éditions Entrelacs, 2011. Et Françoise Bruley, L'archétype Puer-Senex dans les écrits gnostiques,      Rafael de Surtis Éditions, 2010.

21 W. Pauli et C.G. Jung, Correspondance 1932-1958. Bibliothèque Albin Michel Sciences.

22 Roger Dadoun, Op. cit.

 

 

 Contact

 

Jean-Daniel ROHART

51100 Reims

jeandanielrohart@hotmail.com

 


Copyright(c) 2006 Jean-Daniel Rohart. Tous droits réservés.