Chroniques pédagogiques

 

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Solidarité avec Bernard Defrance

Ou le plaisir d’enseigner

 

 

 

 

SGEN – Champagne-Ardennes, Mai 97.

 

Je ne peux garder le silence. Je tiens à dire, peut-être maladroitement, car pressé par le temps, ma solidarité envers Bernard Defrance. Je voudrais seulement dire ici combien j'apprécie le travail et le courage de ce collègue qui sait s'impliquer personnellement et n'hésite pas à prendre des risques en classe. Des risques d'ailleurs mesurés, car ce n'est pas un révolté incendiaire, comme dirait Carl Rogers. Il sait, au contraire, ce qu'il fait, il est lucide, il a du métier et de l'expérience et ses livres, Le plaisir d'enseigner et La Planète lycéenne1 attestent d'une grande maîtrise, tant, dans le domaine de la réflexion pédagogique, que dans celui de la pratique éducative vivante.

S'il accepte de prendre de tels risques, c'est qu'il se propose d'humaniser l'École, de construire avec ses élèves des relations qui aient un sens et de communiquer aux adolescents qui lui sont confiés, l'amour de la philosophie. Son mérite est d'autant plus grand qu'il enseigne à des élèves du technique que l'on imagine peu motivés au départ pour la réflexion philosophique. Dans un contexte particulièrement difficile, caractérisé par une crise profonde de la relation éducative, ce collègue ose afficher son plaisir d'enseigner, à un moment où d'autres désespèrent d'enseigner, gagnés parfois par le malaise enseignant et les phénomènes, parfois graves, de burn-out et de déprime. Et ses élèves, demandera-t-on ? Leurs témoignages, publiés dans La Planète lycéenne sont éloquents, et leurs résultats aux épreuves du baccalauréat « attestent (des) qualités et de (l)'efficacité pédagogiques » de ce collègue (cf le communiqué publié par le Crap-Cahiers pédagogiques, le 10 janvier 1997).

Tout le monde s'y retrouve donc ! Ou devrait s'y retrouver. L'institution, elle aussi. Or l'institution est passée rapidement du mutisme (cf le silence complet de l'inspection régionale et générale de philosophie, au moins depuis 1982) à la suspension de fonction avec traitement pour quatre mois, et à des poursuites judiciaires.

On le sait, d'expérience, le fait n'est pas nouveau des forces malignes et ombreuses œuvrent toujours contre le changement vrai, contre la liberté intérieure, l'intrépidité, la vie et l'ouverture d'esprit.

Des attitudes telles que celles de Bernard Defrance font toujours un peu peur, réveillent l'angoisse et l'hostilité de ceux qui souffrent, comme nous, d'une névrose d'inachèvement, mais ne veulent pas se reconnaître limités et perfectibles.

La névrose, disait Carl Gustav Jung, est « la souffrance d'une âme qui n'a pas trouvé sons sens », et la souffrance, on le sait, rend rarement bon et généreux.

La question du sens effraie, on le comprend. Or, Bernard Defrance, lui, la pose violemment. C'est-à-dire avec authenticité, et, en poussant le bouchon un peu trop loin, sans doute pour susciter des réactions et obliger l'institution à enfin réagir. Une institution qui paradoxalement est d'autant plus sourcilleuse et dogmatique, qu'elle est tout-à-fait incapable d'offrir une véritable philosophie de l'éducation. À la violence institutionnelle, ce collègue oppose une autre violence, celle de la recherche de la vérité et du sens ; « La vie, écrivait Jung dans Ma vie2 est sens et non-sens. J'espère que le sens l'emportera ». C'est parce que je lutte, moi aussi, de toutes mes forces et à ma manière pour que le Sens l'emporte, notamment dans la salle de classe, que je me sens proche de ce collègue sanctionné à cause du caractère novateur et personnel de ses méthodes pédagogiques3.

Jean-Daniel Rohart.

IDÉES N°25 du 28/04/97 – page 3 –

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1 Bernard Defrance, Le plaisir d'enseigner, Quai Voltaire, 1992 et La planète lycéenne, Syros, 1996.

2 C.G. Jung, « Ma vie » Souvenirs, rêves et pensées, Recueillis et publiés par Aniéla Jaffé, Folio.

3 En plus, ce collègue est tolérant, et n'entend pas imposer ses méthodes qui, sont, écrit-il « discutables et discutées ».

 

 

 

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