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Mais quel visage aura donc la France de demain ?
Mai 68 – Mai 2008
« Je
me fais une certaine idée de la France »
Général de
Gaulle
Le
général se faisait une certaine idée de la France, le président
Nicolas Sarkozy se fait, lui aussi, une certaine idée de la France.
Nous nous faisons tous une certaine idée de la France, vous aussi,
je suppose. L’Histoire, quant à elle, ne ferait-elle pas se
succéder des moments d’un calme et d’un équilibre précaire,
situés sur le versant dépressif et caractérisés par l’ennui,
la routine et l’injustice, à des moments passagers
d’effervescence, de fêtes, de fraternité et de solidarité que
l’on pourrait caractériser comme maniaques et utopiques ?
Cette
hypothèse expliquerait le retour rapide à la normale et au calme,
en Mai 68, ainsi que le succès électoral du parti gaulliste en juin
de la même année. Comme si, après un court moment festif de
défoulement et d’excès situé sur le versant dionysiaque,
l’obligation s’était faite sentir de revenir à l’ordre
bourgeois. Comme si, à l’euphorie générale, succédait
l’angoisse presque générale, elle aussi : « la chute
foudroyante de l’autorité dans tous les cantons de France pendant
l’espace de quelques semaines provoquait la même panique
dans les ministères et dans les états-majors des organisations
réputées révolutionnaires », écrit le philosophe Vincent
Descombes, cité par Vincent Cespedes.
Le
besoin se fit sentir de rétablir rapidement l’ordre, cet ordre
même qui, étouffant la vie, la poésie, celle-ci étant définie
anthropologiquement et non plus seulement littérairement,
et l’espoir, avait déclenché de manière spontanée, et à la
surprise générale, le mouvement de révolte des enragés.
Si ce
scénario d’une inévitable alternance ordre-désordre s’avérait
exact, nous serions alors fondés à diagnostiquer une nouvelle
explosion venant rompre la morosité, l’insignifiance et
l’injustice grandissante de la France sarkoziste et l’apathie, au
moins apparente, presque générale face à un train de réformes
économique, politique, institutionnelle, juridique, hospitalière,
médiatique, éducative.
Des
réformes peut-être en partie nécessaires, mais venant, par touches
successives et rapides, dessiner les contours d’une France
libérale, où le Travail, l’Ordre, la réussite sociale et
matérielle, la survalorisation du mérite individuel, sont les
valeurs-clé. Cette nouvelle configuration de notre pays se faisant,
apparemment, avec la complicité, la passivité ou, en tout cas,
l’impuissance des centrales syndicales et des partis politiques
dits de gauche.
Que
l’on songe, sinon, à cette caisse noire de l’UIMM qui, depuis le
lendemain de la Libération, venait désamorcer les luttes ou
préserver et enrichir davantage le Patronat et les actionnaires
contre les possibles conséquences sur l’entreprise, des grèves et
des luttes. Caisse noire qui, selon toute vraisemblance, on attend
des éclaircissements capables de nous rassurer ! servait aussi
à acheter les leaders syndicaux et certains hommes politiques, et à
assurer la paix sociale, au mépris de la piétaille engagée dans la
lutte dans un corps à corps avec l’ordre établi qui n’était
pas sans dangers, tant physiques que moraux ou matériels.
Un
véritable scandale, un autre scandale, dont on parle très peu,
alors qu’il remet en question de manière brutale et frontale notre
Démocratie et nos sacro-saintes valeurs lesquelles justifient dans
le même temps bien des guerres et des exactions. Une démocratie
dont on continue de vanter les mérites sur un mode obsessionnel et
fier de soi. C’est aussi le rôle, le véritable rôle des
syndicats dans toute l’histoire du mouvement ouvrier français
depuis la libération, sur lequel on ne peut s’empêcher de se
poser un certain nombre de questions.
Le
fait qu’il n’existe pratiquement pas, actuellement, de
contre-pouvoir au pouvoir de l'État, un État dont le rôle policier
et tracassier se renforce de jour en jour, en l’absence de toute
véritable opposition parlementaire, syndicale et politique, permet à
ce dernier d’impulser et de mettre en place un nombre effarant et
vertigineux de réformes qui, mises bout à bout, dessineront les
contours de la société française de demain.
Ces
réformes étaient absolument nécessaires, nous explique-t-on en
guise de justification, ce qui n’est sans doute pas totalement
faux, mais le caractère technique et bureaucratique de ces
dernières, ajouté à leur prétendue inéluctabilité permet d’en
cacher la logique profonde qui est aussi inévitablement politique et
idéologique.
On se
demande avec angoisse : Quel sera le visage de la France,
au sortir de ce train de réformes menées à train d’enfer, et
dans la précipitation, parfois, car cette rapidité infernale rend
impossible toute lisibilité immédiate. Elle crée un flou et une
imprécision peut-être calculés. On est comme étourdi, en même
temps qu’inquiet. On se demande avec inquiétude, en effet, quelle
société est en train de se mettre en place ?
Mai
68 serait responsable de tous les maux dont souffre la France, il
suffirait, en somme, de prendre résolument le contre-pied de
L’esprit de 68 pour que tout s’arrange comme par miracle
et que tout rentre dans l’ordre. Comme si cet esprit de 68 ne
continuait pas de vivre chez une partie au moins de nos contemporains
et que l’esprit antagoniste en train de se mettre en place
répondait aux attentes et aux espoirs de tous !
L’Histoire
ne ferait-elle pas se succéder des moments de construction
permettant d’atteindre à un équilibre provisoire et forcément
précaire et incertain, à des moments de déconstruction, de chaos
et de fermentation de valeurs nouvelles porteuses de renouveau, en
même temps que d’angoisse ?
Exemple :
en Mai 68, le meurtre du Père semblait plus que jamais à
l’ordre du jour, d’une brûlante actualité, nécessaire et
inévitable, mais face à l’angoisse dont un tel acte sacrilège
est forcément porteur, on prit peur, on recula.
On en
est là ! Et l’on voit le retour cyclique et régulier d’un
Père-Surmoïque (l’Ordre) prétendant faire taire
l’angoisse dont s’accompagne forcément l’exercice de sa propre
liberté et de sa propre créativité, en faisant preuve de
détermination, d’activisme et de volontarisme, ces attitudes, ces
poses parfois, conjurant provisoirement l’apathie et le
découragement ambiants.
Le
succès électoral des partis politiques de droite, au lendemain de
Mai 68, et en avril 2007, est sans doute en partie dû au fait que
leur référence à l’ordre eut le mérite de rassurer, alors que
les changements, surtout s’ils sont profonds, inquiètent,
changeant nos habitudes frileuses et nos modes routiniers de vie. Le
succès électoral répété de Sharon, personnage pourtant contesté
et ne faisant pas l’unanimité dans la société israélienne,
était sans doute dû au fait que sa détermination de militaire face
à l’insécurité avait le mérite de rassurer une population
vivant dans l’angoisse et la peur permanente des attentats
palestiniens.
Les
diverses politiques s’appuient forcément sur des visions
anthropologiques différentes, l’une se caractérise par la
méfiance envers l’homme,
une méfiance que vient malheureusement justifier l’Histoire la
plus récente, et l’autre sur la confiance et l’idée qu’une
autre forme de société et un autre mode de vie sont possibles, même
s’il convient de ne pas idéaliser l’homme et de ne pas se
réfugier dans des mythes incertains, douteux, voire dangereux. Le
mieux est l’ennemi du bien et l’histoire du communisme, avec
son désir de construire le Paradis sur terre doit constituer un
exemple historique sur lequel méditer. Les réformes menées par
l’actuel président, construisent, ou tricotent peu à peu les
nouveaux contours de notre société.
Face
au vide de l’opposition,
incapable de proposer un contre-modèle de société fondé sur une
vision anthropologique confiante en même temps que réaliste, lucide
et combative, l’actuelle agitation réformiste, ce prurit de
réformes menées à train d’enfer et de manière volontariste et
autocrate, peut de manière illusoire et provisoirement rassurer
notre société qui s’étourdit aussi de sexe (Chypre, Ibiza et les
bords de la Mer Noire incarnent notre côté sombre, notre frivolité
et notre insignifiance) de loisirs, de consommation (pour ceux qui
peuvent y accéder !) de bruit et de fureur, sans parler du
record absolu de la France en matière de consommation de Deroxat et
de Xanax.
Il
n’est pas certain, toutefois, que nous nous reconnaîtrons, comme
après un mauvais réveil, dans cette France que nous construit un
homme au gré de ses caprices, de ses forfanteries et de ses
provocations, dans la toute puissance de sa Volonté personnelle,
laquelle sous-tend au coup par coup un projet politique global, même
s’il apparaît encore imprécis et flou.
On
peut s’interroger d’ailleurs, sur ce qui, en profondeur motive un
tel projet politique, sur la part qui revient au fonctionnement
psychologique imprévisible et inquiétant de son promoteur. Par delà
cette question, on peut aussi s’interroger sur le fait de savoir si
de telles réformes successives parviendront à construire une
nécessaire cohérence de la société française de demain dans
laquelle tous auraient leur place et pourront se reconnaître.
Cette
cohérence ne s’accompagnerait-elle pas, en effet, d’un certain
nombre d’exclusions (aux États-Unis – modèle lointain de
référence de notre président, 20 % de la population à peu près
est exclue de la prospérité) et ne se ferait-elle pas en sacrifiant
un certain nombre de principes et de valeurs éthiques, humanistes,
culturelles ? (voir l’exception française) ; à cet
égard, le projet de Loi visant à tuer les petites librairies, sur
le modèle de l’étouffement des petits disquaires réveille
quelque inquiétude. Des valeurs abandonnées voire honnies et dont
la gauche aurait pu être le porte-parole ?
A quoi
ressemblera la France qui se construit sous nos yeux inquiets et sans
notre assentiment ? Qui ne dit mot consent, dit-on. La
France animée par l’esprit de 68 semble curieusement
absente, elle est muette et apathique.
Face
au vide créé par ce silence et cette inaction, une implacable
machine avance qui dessine peu à peu et d’une manière que l’on
espère provisoire, les contours d’une France dont nous ne voulons
pas !
Jean-Daniel Rohart
26 juillet 2008
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