La violence à l'Ecole

 

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La violence à l’École :  Inévitable condamnation ou chance et défi à relever ?

 

Il est désormais dangereux d’enseigner, sur le plan de son équilibre personnel et  sur celui de sa santé mentale, surtout si l’on remarque que les enseignants sont généralement des personnes sensibles, pour ne pas dire fragiles et qu’aucune formation digne de ce nom n’a été mise sur pied par l’Institution pour les aider à faire face aux conditions nouvelles et souvent difficiles, dans lesquelles s’exerce désormais leur métier.

Cette dangerosité a été mise en évidence par les chercheurs et les spécialistes du vécu intérieur des enseignants[1]. Le fait d’enseigner génère, c’est certain, stress et angoisse, mais, je voudrais inscrire ces quelques remarques sur la violence de et à l’Ecole dans un tout autre esprit. En étant résolument positif et constructif ! En ouvrant des perspectives nouvelles et en suggérant des éléments de réponse, des débuts de solution qui s’appuient sur une pratique effective et ancienne de l’enseignement, sur un vécu réel et non sur de simples idées ou de simples théories.

Pour ce qui est de la violence à l’Ecole, il y a, bien sûr et en tout premier lieu, la violence institutionnelle : la violence de l’Ecole. La logique « prométhéenne » de l’Institution, et le poids de l’idéologie “progressiste”[2]  font que s’exerce sur les élèves (et leur professeur !) une véritable violence symbolique et psychologique.

Les enseignants actuels se trouvent de plus en plus souvent confrontés à des situations de crise en classe. A des conflits plus ou moins violents, potentiellement déstabilisateurs et pour la gestion desquels ils n’ont reçu aucune formation (formation initiale ou formation continue).

 

Il serait bon que nous nous interrogions sur l’attitude à adopter face à une telle violence ?

Il serait bon que nous nous demandions quelles qualités nous devrions tenter d’acquérir pour exercer notre métier d’enseignant, en veillant à ne pas être déstabilisés, en aidant nos élèves à gérer la violence intérieure et institutionnelle, en nous demandant comment leur enseigner l’espagnol, les mathématiques, le français ou tout autre contenu disciplinaire ?

Voici le cadre général dans lequel je souhaiterais inscrire ces quelques remarques un peu désordonnées, tout en suggérant quelques pistes pour apprendre à gérer la violence, en apprivoisant peu à peu la peur qu’elle fait naturellement naître en nous.

 

Je voudrais aborder succinctement les idées suivantes :

 

·      La classe peut être considérée, sous certaines conditions dont il serait souhaitable de favoriser l’émergence, comme une véritable entité thérapeutique et formatrice[3]. Il me semble, si je m’appuie sur ma propre expérience enseignante, que le fait de «  faire la classe » peut avoir une véritable vertu “thérapeutique”, et pour le professeur et pour ses élèves.

La vie du groupe-classe permet la théâtralisation des instances psychologiques présentes en lui (et chez ses élèves), dans un état de confusion et de conflit plus ou moins grand. Elle peut permettre une réorganisation de la personnalité, dans le sens d’une plus grande maturité[4], d’une plus grande cohérence et d’une meilleure harmonie.

La violence, d’abord vécue comme un obstacle à la tâche d’instruction et d’éducation, peut se transformer au fil du temps en un avantage. Elle peut alimenter une quête existentielle et être l’occasion d’un développement personnel.

 

·      Dans le cadre de cette nouvelle philosophie de l’éducation, le professeur qui prétend éduquer et instruire autrui, doit s’engager, volontairement, lucidement et courageusement et avec confiance, dans un véritable processus d’auto-formation continue.  On retrouve ce sentiment indéfectible de confiance, tout au long de l’œuvre de Carl Rogers, lequel pense, proche en cela du bouddhisme, que l’homme possède en lui-même toutes les potentialités qui lui permettront, sauf accident de parcours, toujours remédiable,  d’assurer un développement plein et entier de lui-même. Il parle notamment de « l’homme fonctionnant pleinement », ainsi que de la tendance actualisante, cette force directionnelle innée qui pousse l’organisme vivant à se perfectionner. Dans son dernier livre : Away of Being, 1980,  il écrit : « chaque être humain possède une tendance directionnelle vers l’entièreté, vers l’actualisation de ses propres potentialités (…) Il est bien clair que la tendance actualisante est sélective et directionnelle, ou si vous le voulez, constructive ».

 

·      Cette philosophie personnaliste de l’éducation suppose que l’enseignant ne considère pas seulement ses élèves du simple point de vue de leurs compétences disciplinaire et intellectuelle, mais comme des personnes, en adoptant envers eux un regard inconditionnellement positif et une attitude empathique, dans l’optique de Carl Ransom ROGERS[5].

La manière qu’a Carl Gustav JUNG de poser la question de l’altérité peut aussi inspirer notre démarche. Comme il l’écrit : « Sans lien consciemment reconnu et accepté avec le prochain, il ne peut y avoir aucune synthèse de la personnalité (…) L’affermissement intérieur de l’individu (…) inclut le prochain ».

L’individuation, entendue comme « l’accession du sujet à sa totalité indivise » suppose une constante mise en relation avec l’autre : « L’homme sans relation n’a pas de totalité, car il n’accède à celle-ci qu’à travers l’âme, laquelle ne saurait se passer de son autre côté, qui se trouve toujours dans le “tu” », nous dit aussi JUNG[6].

L’anthropologie jungienne peut donc nourrir une nouvelle philosophie de l’éducation, une nouvelle manière d’être en classe, une nouvelle attitude envers les élèves.

Le processus d’auto-éducation, auquel je faisais allusion antérieurement, peut, en effet, se nourrir et s’inspirer du processus d’individuation, tel que l’a vécu et théorisé Carl Gustav JUNG[7] au cours de sa vie et à travers ses recherches.

 

·      Ce processus d’auto-éducation peut, dans le meilleur des cas, comporter une véritable dimension spirituelle et initiatique. Dans un ordre d’idée proche, Karlfried Graf DURCKHEIM parle du « quotidien comme exercice ». Le fait d’enseigner, dans un contexte difficile, parfois violent, et potentiellement déstabilisateur, peut nous permettre de trouver des éléments de réponse à la question du sens. Question du sens de notre pratique sociale et professionnelle, mais aussi et plus généralement question du sens de notre vie.

 

·      Cette nouvelle philosophie de l’éducation, cette philosophie relationnelle, ne signifie naturellement pas enfermement plus ou moins narcissique sur soi, ni complaisance pour sa quête personnelle.

Raimón PANIKKAR développe l’idée stimulante de l’enrichissement réciproque, rendu possible par le dialogue dialogal[8]. Dialogue qui peut, et qui doit même être violent et sans complaisance aucune, mais qui ne se propose jamais une victoire sur l’autre. Les éléments de désaccord permettent à chacun d’approfondir sa propre démarche et d’effectuer un repérage de ses propres contradictions, dans une quête continue de sa « vérité ».

J’ai développé ailleurs l’idée d’un compagnonnage de tous les acteurs de la relation éducative[9], rendu souhaitable, voire nécessaire, par les conditions dans lesquelles s’exerce de nos jours la relation éducative.

Face aux formes diverses que prend la violence à l’Ecole, il conviendrait en effet, à mon avis, que tous les acteurs de la relation éducative : élèves, parents d’élèves, conseillers principaux d’éducation (CPE), chefs d’établissements, inspecteurs, et pourquoi pas recteurs ? unissent leurs efforts, chacun avec sa spécificité, ses qualités propres et son rôle institutionnel, sans qu’il soit nécessaire de tomber pour cela dans la démagogie et le déni de toute différence de compétence.

De toute façon, la violence à l’Ecole, quelle que soit la forme qu’elle prend, est inévitable. Il serait illusoire de prétendre la faire complètement disparaître, dans la mesure où elle est un élément constitutif et somme toute normal, de toute relation humaine et de toute vie en collectivité. Dans ce contexte, l’enseignant actuel aurait tout intérêt à apprendre à gérer au mieux l’angoisse que l’exercice de son métier fait inévitablement naître en lui (aspect thérapeutique et auto-formateur). L’angoisse comporte, paradoxalement, des aspects positifs. KRISHNAMURTI nous dit que : « Il faut que je sois troublé, si je veux me comprendre. Il faut que je passe par des bouleversements et des angoisses terribles pour me découvrir »[10].

L’attitude du maître, telle que je l’esquisse ici, peut sembler exigeante et au dessus des forces de la plupart d’entre nous. Elle s’accompagne d’une responsabilité « éthique » nouvelle, qui suppose que nous nous confrontions sans cesse avec l’Ombre, avec notre ombre « personnelle » et également avec le Mal en général. La gestion des situations de crise et de violence peut aider à cette confrontation avec l’Ombre, en nous faisant entrer en contact avec l’ombre d’autrui, bonne façon de prendre conscience de l’aspect ombreux de notre personnalité et de nous permettre de regagner la “Vallée” (de larmes ?) si, nous avions tendance à planer sur les hauteurs ![11]

Cette nouvelle attitude « éthique » suppose que nous acquérions un regard lucide sur notre propre fonctionnement en classe et sur les relations que nous entretenons à autrui. Elle suppose que nous devenions plus “maîtres” de notre propre subjectivité. Une telle attitude, certes exigeante, répétons le, peut aider à la gestion de la violence à l’Ecole et possède des vertus formatrices et initiatiques. La gestion de la violence peut, c’est vrai,  être un moment d’un chemin initiatique.

Enseigner aujourd’hui est certes potentiellement et réellement dangereux sur le plan de notre équilibre, mais peut aussi contribuer à la naissance d’une harmonie nouvelle gagnée de haute lutte.

Dans un contexte difficile et violent, Bruno BETTELHEIM et KRISHNAMURTI[12], entre autres, nous disent que nous n’avons pas d’autres solutions que d’acquérir de nouvelles manières d’être. Progresser ou succomber aux difficultés, telle semble être la seule alternative qui s’offre désormais à nous ! : “ En période de crises graves (...) il peut se produire des situations où les hommes n'ont le choix qu'entre renoncer à la vie ou parvenir à une intégration psychologique supérieure ” car,  “ vivre consiste à lutter pour parvenir à une plus grande intégration dans le cadre d'un conflit fondamentalement inévitable ”.

 Les situations les plus difficiles et les plus violentes sont aussi celles qui permettent le développement de nous-mêmes le plus élevé ou le plus accompli. C’est en tout cas ce que m’ont permis d’apprendre trente années d’enseignement de l’espagnol au lycée.

Etre confronté à l’incertitude, aux changements et à la violence, être, de manière générale, confronté aux difficultés, peut s’avérer être une opportunité de spiritualisation et de célébration, ainsi que nous le dit OSHO[13]. A condition toutefois que nous apprenions peu à peu le courage intérieur : le courage de changer, le courage d’accueillir l’inconnu et d’apprivoiser la violence sous toutes ses formes, en dépit des peurs qu’elle fait légitimement naître en nous.

Enseigner peut ne pas être un “métier impossible”[14], même dans les situations les plus difficiles, décourageantes et potentiellement déstabilisatrices, à condition, toutefois, que nous ayons compris que nous avons intérêt, un intérêt d’abord personnel, à acquérir une nouvelle manière d’être, faite d’ouverture et d’accueil à l’imprévisible.

Dans un ordre d’idée proche, Carl Ransom ROGERS parle de congruence, forme d’acceptation de ses sentiments, même les plus négatifs et désagréables.

Plutôt que d’être paralysés par la peur, nous devrions accompagner la vie, ou plutôt le flux du vivant[15], en nous et à l’extérieur de nous. Plutôt que de céder à un compréhensible découragement, nous devrions essayer de participer au mouvement de réenchantement du monde qui, semble-t-il, s’esquisse en profondeur sous nos yeux qu’aveuglent parfois la peur et le pessimisme[16].

Nous devrions tenter de nous rattacher au nouveau paradigme civilisationnel, éthique et spirituel, qui est en train d’émerger, nous devrions accompagner et “favoriser” dans la mesure de nos forces et de nos possibilités le mouvement de réactualisation et de réviviscence de nouveaux mythes (anciens), l’actualisation des archétypes au sens jungien du terme dont notre civilisation a besoin pour dépasser la crise supposément provisoire qui la travaille et contribuer ainsi à la naissance d’un monde autre.

 

Jean-Daniel Rohart

Article paru dans la Revue 3e millénaire n°77

 

 


[1] Etre enseignant. Un métier impossible ? Hommage à Ada Abraham (sous la direction de Huguette Caglar) – Collection Défi-Formation, L’Harmattan Et : L’enseignant est une personne (sous la direction d’Ada Abraham), éditions ESF, 1984.

[2] Ce que Michel MAFFESOLI, après Vilfredo PARETO,  appelle le Mythe progressiste ou le mythe vertuiste - MAFFESOLI Michel.- Le rythme de la VIE. Variation sur les sensibilités post modernes. La Table Ronde, Paris, 2004.

[3] “Une expérience de pédagogie interculturelle : prolongements sur le plan de la formation et valeur thérapeutique” in : Recherche et Formation, Institut National de Recherche Pédagogique (I.N.R.P.) n° 2, p.p. 103-113, 1987.

[4] ROHART Jean-Daniel.- “L’action éducative et les étapes de la maturité. Contribution à une nouvelle psychopédagogie” in : Cahiers Binet-Simon, n° 653, p.p. 39-55, 1997/n°4.

[5] Voir Jean-Daniel ROHART.- L’attitude « rogérienne » en classe. Contribution à la gestion de la crise de l’Ecole. Publié par l’Association VOIES-LIVRES / SE FORMER +  S.99. 31 pages, Mai 2005 Et : Carl ROGERS et l’action éducative. Ouvrage collectif. A paraître.

[6] Que cite Christine MAILLARD, dans un livre à la fois rigoureux et stimulant : MAILLARD Christine – Du plérôme à l’Etoile. Les Sept Sermons aux Morts. Presses Universitaires de Nancy, 1993.

[7] ROHART Jean-Daniel.- JUNG et l’(auto) éducation. Créativité psychologique et naissance de l’Ame (inédit à ce jour).

[8] PANIKKAR Raimon.- Eloge du simple. Archétype universel du Moine. Editions Albin Michel.

[9] ROHART Jean-Daniel.- Action éducative et éthique.  Pour un compagnonnage des acteurs de la relation éducative.  Editions L’Harmattan, 2001.

[10] KRISHNAMURTI.- La première et dernière liberté.

[11] HILLMANN James.- Le polythéisme de l’âme. Mercure de France. Le Mail, 1982 ;  Le Mythe de la psychanalyse. Editions IMAGO    Et :  La Beauté de Psyché. L’âme et ses symboles. Le Jour éditeur, 1993.

[12] BETTELHEIM Bruno.-  Le cœur conscient, Editions Robert Laffont, 1972.

KRISNAMURTI.- De l’éducation. Editions Delachaux et Niestle : “ Il est nécessaire que les êtres humains soient intégrés, s'ils veulent sortir d'un état de crise (...) sans être brisés (...) Pour le faire, il est évident que l'éducateur doit être lui-même intégré. ”

[13] OSHO.- Le courage.  La joie de vivre dangereusement, Editions Jouvence , 1999.

[14] Etre enseignant.  Un métier impossible ? Op. Cit.

[15] JULLIEN François.- NOURRIR SA VIE. A l’écart du bonheur, Editions du Seuil, Janvier 2005.

[16] ROHART Jean-Daniel.- La Vie et l’éducation. Suivi de : Comment réenchanter l’Ecole ? Editions L’Harmattan, 2005.

  

 

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