L'inspection, regards croisés

 

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[Elèves de secondes
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[L'inspection, regards croisés] 
[L'autorité en éducation] 

 

 

   L'inspection : regards croisés

L'inspection vue par un professeur, des élèves et des inspecteurs


La parole est aux élèves

Les réflexions qui suivent sont les réflexions d’anciens élèves de 2ème, auxquels j’ai enseigné l’espagnol pendant l’année scolaire 86-87 et à qui j’ai demandé de s’exprimer par écrit sur le travail que nous faisions ensemble.

Ces témoignages d’élèves furent donc rédigés à ma demande, et après que j’eus pris soin de dire que je venais de recevoir mon rapport d’inspection, que je le jugeais personnellement d’une extrême sévérité, et que l’avis de mes diverses classes m’était précieux. J’avais été inspecté en 2ème 7 le 17 octobre, les élèves avaient tout fait pour m’aider, nous nous étions serrés les coudes, face à une « visite » que nous ressentions tous un peu comme une intrusion.

J’insistai auprès de mes élèves sur l’idée qu’il leur fallait être très sincères et ne pas me ménager dans leurs éventuelles critiques. Parfois, je fus servi ! Leurs critiques rejoignaient d’ailleurs parfois celles de l’inspecteur, lesquelles n’étaient pas complètement dénuées de fondement, même si, lui et moi, évoluions dans deux logiques pédagogiques et relationnelles complètement différentes.

Mais les critiques de mes élèves, même lorsqu’elles étaient dures, restaient nuancées et  faisaient apparaître qu’un défaut (les enseignants sont des hommes possédant leur propre « histoire libidinale ») peut comporter des aspects positifs ou se transformer en avantage. On a les qualités de ses défauts, comme l’on dit parfois ! Tout n’était pas si noir aux yeux des élèves, tandis qu’à lire des rapports d’inspection comme mes deux premiers, on pourrait se demander ce qu’un enseignant jugé si mauvais, fait encore dans l’enseignement ! Pourquoi les laisse-t-on sévir et nuire ainsi ? Pourquoi ne l’oblige-t-on pas à parfaire sa formation ?

Je dois dire que cette 2ème 7 est une des classes qui me posa les problèmes les plus difficiles de toute ma carrière. En début d’année, j’appréhendai une ou deux fois de leur faire cours. J’étais parfois angoissé à l’idée de les rejoindre, le vendredi après-midi surtout, moment où ils étaient particulièrement agités et inattentifs. Je dois ajouter que l’angoisse de faire cours n’est pas, chez moi, un phénomène très habituel. J’ai essayé d’analyser les sentiments que faisait naître en moi cette classe en début d’année, dans Journal d’un prof n°1 (travail inédit qui verra peut-être le jour plus tard). Des difficultés relationnelles existaient encore au moment de l’inspection soit le 17 octobre, mais pourtant, les élèves firent tout pour m’aider. On peut avancer l’idée que l’inspection, en plus de sa vertu « thérapeutique » potentielle que j’analyse dans : L’inspection : histoire d’un exorcisme et critique d’une institution (inédit), a le mérite – à son insu aussi – de resserrer la cohésion du groupe professeur-élèves, même si des conflits existaient avant l’arrivée de cet « intrus » qu’est l’inspecteur.

Le « rapport d’inspection » des élèves fait intervenir des analyses psychologiques parfois fines et subtiles. Il témoigne aussi d’une certaine demande sur les plans à la fois relationnel et pédagogique, que les inspecteurs semblent ignorer ou mettent entre parenthèses dans leur rapport, lequel est un morceau de genre qui obéit à des règles plus académiques que vivantes et adaptées au réel que la relation pédagogique actuelle.

« J’accorde à M. Rohart des circonstances atténuantes » !, écrit fort joliment Laurence qui n’a pas pour ses « profs » le respect un peu figé et solennel d’autrefois, même si on peut le regretter ! Le « rapport » des élèves est quoiqu’il en soit plus indulgent que celui des inspecteurs, il souligne les « progrès » que le professeur a pu faire en cours d’année ! Plus humble aussi : « J’ai bien du mal à vous critiquer, car pour cela, il faudrait que je puisse vous proposer autre chose, or j’en suis parfaitement incapable. »

Dans leurs appréciations, les élèves tiennent compte des remarques que leur professeur a pu leur faire pour leur expliquer la situation de façon « congruente » et « authentique »[1] ; j’avais dit aux élèves, par exemple, que c’était la première fois de ma carrière que je faisais cours à des 2ème langue-vivante 3, comme je l’expliquai d’ailleurs à l’inspecteur, lors du « confessionnal » qui suivit mon inspection.

Les élèves, eux, surent en tenir compte !…

Les élèves savent aussi reconnaître leurs « torts ». Ils sont conscients d’avoir des problèmes d’attention, et d’être agités. On se demande d’ailleurs sincèrement comment ils pourraient ne pas l’être, quand tous les enseignants de la classe ne cessent de le leur répéter et de le déplorer.

On peut discuter, bien entendu, sur la meilleure manière de venir à bout de cette agitation. On peut s’interroger sur l’évolution récente de la relation éducative.

Les élèves ont-ils besoin d’autorité ? C’est vraisemblable. C’est sûr, même. Mais de quelle autorité ? On sent que leur demande en la matière fait apparaître une extrême ambivalence, car un même élève pouvait, à peu de temps d’intervalle, critiquer mon laxisme et mon manque d’autorité, ainsi que l’excès d’autorité de mes collègues (ou même le mien). Le désir se fait jour chez les élèves, d’un juste milieu, mais l’attitude idéale est difficile à trouver et à mettre en place. Comme l’écrivait un élève dans son « rapport » : « La critique est aisée, mais l’Art est difficile ». Nous sommes à une époque charnière, à la recherche d’une nouvelle autorité, d’une nouvelle philosophie relationnelle. Le sociologue Michel Maffesoli parle, un peu dans le même ordre d’idée, d’une nouvelle socialité en train de naître sous nos yeux.

Dans ce contexte incertain et de transition, les recherches, courageuses – si l’on en croit l’avis des élèves – menées par certains professeurs, doivent parfois être ressenties comme anxiogènes, et par les élèves et par les inspecteurs. A la fin de son rapport, l’inspecteur semble sincèrement inquiet pour mon équilibre personnel, et redoute que mes cours ne débouchent sur le chahut. Il devrait désormais être rassuré, s’il considère qu’il y a plus de dix ans que j’enseigne et que je n’ai jamais eu aucun problème grave de « discipline ». Pour s’en convaincre, il n’aurait qu’à relire mes divers rapports administratifs, où mes proviseurs successifs parlent de très bons rapports avec les élèves et les parents, de « pédagogie adaptée », de mon désir de voir les élèves progresser, etc. A quelques années de la retraite, ayant changé d’établissement, la tonalité de mes divers rapports administratifs (sauf un !) n’a pas changé : « M. Rohart a une haute idée de sa mission éducative ». Telle est la teneur générale.

« Nous formons une classe très agitée » écrit Laurence. Tous mes collègues s’en sont aperçus dès le premier cours, et l’ont répété unanimement lors du conseil de classe du 2ème trimestre, mais pour des raisons qu’il ne me convient pas d’analyser ici, raisons personnelles parfois, raisons respectables en tout cas, ils ont décidé de juguler l’agitation à la racine de façon plus ou moins « brutale » et traditionnelle, et plus à même de satisfaire l’inspecteur, tout en leur assurant une légitime tranquillité.

Les élèves, quant à eux, s’ils jugeaient sévèrement en 1986 (et parfois avec raison, peut-être ?) mon manque d’autorité, jugeaient non moins sévèrement, l’attitude inverse de mes collègues lesquels leur semblaient autoritaires et « salauds ». Cet autoritarisme dont faisaient preuve certains de mes collègues, semblait d’ailleurs parfaitement convenir à certains élèves, car une chose est certaine, les demandes des jeunes actuels en cette délicate matière ne sont ni uniformes ni homogènes.

Cyril écrit : « C’est pour ça qu’on ne porte pas les profs dans notre cœur. » Nadine explicite un peu la pensée de son camarade : « Car lorsqu’une classe est avec un prof ringard, aucun lien ne se crée, on ne perçoit pas le prof comme étant une personne qui veut nous apprendre quelque chose. Donc on se tait, on s’ennuie à mourir, tandis que le prof est fier de lui en se disant qu’il a réussi à avoir le calme et à passionner ses élèves. Il ne se doute pas que tout le monde l’a pris en grippe ».

Je ne tire aucun plaisir revanchard, sadique et malveillant à citer de tels propos. Je sais trop combien il est désormais difficile d’enseigner, et je me dis que chaque enseignant en est réduit à essayer de s’en sortir en s’appuyant sur son tempérament, ses convictions et ses possibilités du moment en étant « congruent », en somme !  Ce que je voudrais seulement démontrer, c’est qu’aucune attitude relationnelle n’est, dans l’absolu, parfaite, idéale et généralisable.

Si les critiques des élèves et celles de l’inspecteur se recoupaient partiellement, il est un point sur lesquelles elles divergeaient radicalement. Les élèves, en ce qui les concerne, appréciaient la « congruence » et l’honnêteté de l’enseignant qui avoue s’être trompé : « Je trouve tout à fait juste qu’un professeur ne soit pas toujours aussi sûr de lui. S’il ne se trompe jamais, on a l’impression qu’il a un ordinateur dans la tête, qu’il nous récite tout par cœur : ça nous fait voir qu’on est pas les seuls à avoir “la trouille” de passer et d’être jugé par une trentaine d’élève lors des interros… » écrit Virginie, élève de 2ème 2-3.

Et : « Anciennement l’école était très autoritaire. Il y a certains profs qui ne supportent pas qu’on les corrigent (sic) ou qu’on leurs montrent leurs fautes. Ils se disent trop souvent qu’ils ont raison. Ils n’aiment pas écouter les avis des élèves. Je trouve que Mr. Rohart a du mérite de reconnaître ses fautes devant les élèves. Les inspecteurs veulent faire des profs des êtres incontestées. »

Pour l’inspecteur, au contraire, le fait de reconnaître, « d’avouer » !, que l’on s’est trompé, semble constituer une faute grave. Ce que l’on pourrait dire, pour essayer de trouver des justifications à cette attitude inspectorale, c’est que le fait d’exprimer ses doutes, de chercher un mot dans le dictionnaire, d’avouer que l’on s’est trompé, peut parfois déstabiliser les élèves, les angoisser peut-être, au lieu que l’image du professeur infaillible est rassurante. Cela est peut-être vrai, mais les élèves ont désormais une demande de rapports plus vrais, plus authentiques, plus « naturels » (Laurence). Le fait de constater que le « prof » peut, lui aussi, se tromper, les rassure, nous venons de le voir avec Virginie, et les rend plus sereins et « cools », ce qui semble être nécessaire, car la situation d’apprentissage est, d’une certaine manière, anxiogène.

Les choses sont complexes, ont le voit. Les rapports d’inspection, eux, sont carrés et ne cherchent pas à rendre compte de cette complexité. Ils schématisent, mentent par omission, nuisent à la vérité, quand ce n’est pas aux enseignants eux-mêmes et, indirectement, aux élèves et à l’Ecole toute entière.

Les inspecteurs semblent redouter, et cela les honore, l’insécurité émotionnelle qui dans certains cas peut assaillir les élèves, mais ne faut-il pas du courage à un enseignant pour accepter de faire face à cette insécurité émotionnelle que, lui aussi, ne manque pas de ressentir ? Et surtout, n’est-il pas plus profitable pour les élèves qu’ils apprennent à conjurer leurs angoisses et leur instabilité ?

N’est-ce pas une erreur « pédagogique » que de vouloir à tout prix faire faire aux élèves l’économie de l’angoisse et de l’instabilité émotionnelle, et de les empêcher de s’affronter seuls aux difficiles problèmes de la construction de leur être, en se substituant à eux de manière autoritaire et faussement rassurant ? Comme je l’écris ailleurs[2] :

« Le même Xavier THEVENOT situe bien l’enjeu délicat de l’attitude éducative la mieux adaptée aux objectifs qu’elle poursuit, lorsqu’il parle de la double nécessité de « sécuriser sans enfermer » et de « frustrer sans semer l’angoisse » : une tâche délicate sans conteste et qui ne peut souhaiter parvenir à ses fins, que grâce à l’éthique de l’Agapè, car : « il n’est pas de pédagogie réussie, si elle n’est pas traversée par l’éthique et l’éthique de l’Agapè ». Et, fort de la connaissance que l’auteur avait des conditions dans lesquelles s’exerce de nos jours notre action pédagogique, il prenait soin d’ajouter que cette mise en œuvre de l’Agapè se fait toujours : « dans la contingence, l’aspect partiel et le compromis des situations humaines complexes ».[3]

« Je ne dirai pas que les premiers mois furent catastrophiques, le terme serait trop fort, écrit Laurence, élève de 2ème 7, mais cela n’en fut pas loin… » Puis, la tempête passa, le danger fut conjuré : « Enfin le calme se rétablit un jour. Nous avions décidé avec le professeur de faire un travail sur le Venezuela. Nos esprits se calmèrent et se concentrèrent enfin sur le travail. »

Ce qui me semble important de signaler, c’est que le calme ne fut pas imposé de l’extérieur par des méthodes autoritaires (punitions, remarques moralisatrices, etc.), il fut construit par les élèves, avec l’aide de leur professeur. Eric écrit aussi dans le même ordre d’idée : « C’est un cours positif où l’on arrive à construire les leçons et à les comprendre. »

Le calme fut conquis de haute lutte, et cette victoire remportée ensemble par le professeur et les élèves resserra leurs liens, créa un climat de confiance réciproque et les résultats sur le plan scolaire s’améliorèrent de façon assez rapide. Ce sentiment de confiance est ce qui revient le plus souvent, le lecteur pourra s’en persuader en lisant les rapports des élèves de 2ème 7 et ceux des 2ème 2-3, publiés à la suite.

Mais cela, l’inspecteur ne put pas le savoir, car il vint m’inspecter à la mi-octobre et il ne revint pas cette même année pour constater les progrès. Je ne connais pas de précédent de collègue ayant été inspecté deux fois la même année, à moins que cela ait lieu en cas de « contre-inspection », car je crois que, légalement, la possibilité existe pour un enseignant d’être inspecté une deuxième fois, à sa demande, s’il estime avoir été mal jugé lors de sa première inspection ?

« Pour conclure, écrit la même Laurence, je dirai que Mr Rohart a voulu nous apprendre l’espagnol d’une manière « naturelle », comme si nous étions en Espagne, dans la rue. En abolissant les structures habituelles qui nous passent au-dessus de la tête, il a essayé de sortir du chemin habituel. »

Le problème est, bien sûr, de ne pas s’égarer sur ces chemins nouveaux et difficiles. Toute relation profonde et authentique comporte des risques. Il faut, à tout le moins, éliminer la peur de la peur, et savoir si nécessaire prendre des risques calculés.

Il faudrait pouvoir seulement servir de guide aux élèves, ce qui n’est pas simple. Il faudrait les aider à trouver leur propre rythme et leur propre démarche sur les chemins inhabituels qu’ils ont le plus souvent le désir de parcourir, ce qui suppose que l’on soit à leur écoute (en même temps qu’à la sienne), et qu’on leur propose des difficultés et des innovations qui soient adaptées à leurs possibilités organismiques et intellectuelles du moment : « Tout l’art est à graduer les épreuves et à mesurer les efforts ;  car la grande affaire est de donner à l’enfant une haute idée de sa puissance, et de la soutenir par des victoires ; mais il n’est pas moins important que ces victoires soient pénibles, et remportées sans aucun secours étranger, écrit le philosophe Alain.[4]

Le type de pédagogie que j’essaye de mettre en œuvre ne peut que difficilement s’inscrire dans le cadre imposé par l’inspection actuelle. C’est sans doute pourquoi elle a du mal à être reconnue officiellement. L’inspection traditionnelle ne peut, en effet, que difficilement porter un jugement sur ce type de travail, car elle ne prend que très peu en compte l’aspect relationnel dans l’acte éducatif.

D’une certaine manière, cette institution n’est pas dans le réel, ainsi que l’affirment tous les collègues, de Maurice MASCHINO à Isabelle STAL et Françoise THON[5] : « De l’autre côté de cet écran de fumée, l’inspecteur ne voit que du feu ; - dès lors comment l’inspection pourrait-elle percevoir la détresse quotidienne des enseignants, le caractère utopique et volontariste des pédagogies qu’elle préconise ? Ajoutons que l’inspection n’a nul souci de connaître la situation véritable, il lui est bien plus confortable de tisser ses fragiles rêves pédagogiques à l’abri d’une réalité cruelle (…). Ainsi les deux lâchetés, celle de l’enseignant devant l’autorité, celle de l’inspection devant la réalité, se conjuguent pour maintenir l’imposture ». Alain présentait déjà l’inspecteur de son temps comme « un gendarme » et « un délégué de la pédagogie abstraite »[6].

Le jugement des élèves, même s’il a aussi ses limites, rend compte de la dynamique relationnelle présente dans les cours. Il s’inscrit dans le temps-vécu, il peut apprécier le changement, relever les évolutions positives, au lieu que le regard inquisiteur de l’inspecteur fige les choses, et si le professeur tient compte des jugements émis par ce « juge » (s’il a besoin de l’assentiment de cette image de père pour survivre psychologiquement, ou s’il veut passer « au grand choix »), il risque d’y perdre en adaptabilité et en flexibilité. Il risque d’appliquer, ou essayer d’appliquer, mécaniquement, des techniques qui lui sont imposées de l’extérieur, mais qui ne correspondent pas forcément à son tempérament. Il risque de « forcer sa nature » pour satisfaire aux exigences institutionnelles, et cela a toutes les chances d’être destructeur sur le plan psychologique, et pour lui, et pour ses élèves. La qualité de leur relation risque de s’en ressentir, quand le « rapport » des élèves fait précisément ressortir leur soif de rapports humains authentiques.

On peut aller jusqu’à dire que l’inspection sous sa forme actuelle nuit à la matière dont elle prétend assurer le rayonnement, opinion confirmée par ce qu’écrivent certains psychologues spécialisés dans l’étude scientifique du vécu-intérieur des enseignants. Je pense notamment à cet article publié dans L’enseignant est une personne, sous le titre Santé mentale des enseignants, où l’on peut lire : « Ainsi un enseignant considéré par l’inspecteur comme “dépourvu d’autorité” risque de forcer sa position conduisant à se fuir lui-même, alors que le message pédagogique nécessite une forme de transmission à la mesure de la personnalité du maître et sans le trahir ».

Je pense aussi à ce qu’écrit Michel LOBROT[7] : « L’enseignant qui veut plaire à l’inspecteur, redoute par-dessus tout le bruit, le chahut, l’indiscipline, c’est-à-dire toutes les expressions possibles  de la vie enfantine et de la révolte enfantine. Peu lui importent (…) les résultats réels. Mais, par contre il est obsédé par la discipline, c’est-à-dire par le souci de « sauver les apparences ». « 90 % des activités des enseignants sont dictées par la crainte de se voir sanctionner, juger, condamner par un inspecteur (…) Une telle crainte dont on peut sourire (…) paralyse en réalité l’enseignant. »

Si l’on adopte une autre logique relationnelle et pédagogique, on peut avancer l’idée – souvent confortée par l’expérience -, que la victoire remportée ensemble avec le professeur sur le désordre intérieur renforce chez les élèves un sentiment de confiance en leur « prof », en eux-mêmes et dans le groupe-classe, et c’est finalement la matière enseignée qui en sort bénéficiaire. Je repense ici à ce qu’écrit Laurence dans son « rapport » : « Mais enfin le calme se rétablit un jour. Nous avions décidé avec le professeur de faire un travail sur le Vénézuéla. Nos esprits se calmèrent et se concentrèrent enfin sur le travail. Ceci débouchera sur un travail écrit qui sera, je pense, bon dans l’ensemble et prouvera que Mr Rohart a réussi à nous donner des bases en espagnol. »

Comme ces futurs de l’indicatif respirant la confiance surent me redonner espoir, d’autant que ces « rapports » furent rédigés le 09 février, à un moment où l’année était loin d’être terminée !

J’étais « tombé » sur une classe très difficile, « bruyante », « faible » (cf. le « rapport » de Sandrine), comme l’écrivaient les élèves eux-mêmes, qui tenaient compte, dans leurs jugements, des conditions objectives dans lesquelles s’exerce aujourd’hui la relation éducative. Le fait qu’il n’y ait pas dans mon lycée de problèmes graves et spectaculaires de violence et de délinquance, ne prouve pas qu’il soit forcément toujours facile d’y enseigner, comme une remarque de l’inspecteur, faite lors du « confessionnal » semblait le laisser supposer.

Les élèves, eux, étaient « tombés » sur un homme qui avait sa propre problématique, comme tout le monde, ses qualités et ses défauts. Ensemble nous avions réussi, dans le courant du mois de février (un peu avant peut-être ?) à inventer une dynamique relationnelle, un type de rapport qui, en gros, nous convenait aux uns et aux autres, et nous permettait de travailler. J’étais parvenu à enseigner dans le fil de mon bois, selon la belle expression de … doyen honoraire de l’inspection générale que  je rencontrai un jour à l’occasion de la coordination d’un numéro spécial sur l’inspection[8].

Lucile HERAUD, maître de conférence en psychologie et thérapeute à la M.G.E.N., il y a quelques années, avance l’idée que le groupe-classe peut jouer dans certains cas, et sous certaines conditions le rôle d’une véritable entité thérapeutique[9], sans qu’il faille pour autant perdre de vue, l’aspect proprement éducatif et didactique (l’instruction) : « Ceci débouchera, estime Laurence, que les faits ultérieurs n’ont pas fait trop mentir, sur un travail écrit qui sera, je le pense, bon dans l’ensemble et prouvera que Mr Rohart a réussi à nous donner des bases en espagnol. »

Monsieur Bernard PAULMIER, ancien directeur de SES (Section d’enseignement spécialisé) et vice-président de la Société Française de Psychologie adlérienne, estimait, quant à lui, que l’Ecole peut aussi avoir, en plus de son rôle d’instruction, une vertu thérapeutique, ou, plus exactement, une fonction de prophylaxie mentale.

Ce qui me plut aussi, en lisant ces « rapports » d’élèves, c’est que mes élèves m’estimaient, ou qu’au moins ils étaient « congruents », authentiques, honnêtes et même catégoriques dans leurs jugements : « Quant aux notes, je pense que vous êtes borné… » ! etc.

Je ne veux pas dire que ce ton « irrespectueux » me réjouisse tout particulièrement. De mon temps, on n’aurait jamais osé parler ainsi à nos maîtres ! Je ne veux pas dire non plus - parlant de l’estime que mes élèves ont pour moi – que le but de l’enseignement doit être de se gagner à tout prix l’amour ou l’estime de ses élèves, le philosophe ALAIN parle même d’une indispensable « indifférence » et estime qu’il est parfois nécessaire de savoir déplaire à ses élèves. Mais, il est important à une époque où les adultes ne servent que rarement de référence aux adolescents, que ces derniers puissent encore trouver à l’Ecole (et ailleurs) des images identificatrices solides, qui leur permettent de se construire psychologiquement. Les élèves me disaient dans leur « rapport », à leur manière franche et spontanée, que si je voulais jouer vraiment ce rôle d’image identificatrice, et être « à la fois respecté et aimé », il me fallait être plus autoritaire. Si je parvenais à me situer mieux par rapport à l’autorité (et ma première inspection m’y a déjà aidé, malgré elle, jouant ainsi d’une certaine manière, un rôle « thérapeutique » ou plus simplement formateur), si je parvenais à mieux incarner l’autorité, je pourrais considérer que j’avais progressé sur le plan personnel, tout en aidant (Rogers) les élèves à se structurer psychologiquement. D’après un ancien élève de terminale (année scolaire 85-86), qui aimait venir en espagnol et qui fait aujourd’hui de l’espagnol à l’université, il me manquait très peu de chose ! Les élèves me demandaient parfois d’avoir « un tout petit peu plus d’autorité, mais sans tomber dans l’excès inverse, se pressaient-ils d’ajouter, comme inquiets !

Toutes ces choses-là semblent devoir être mesurées de façon homéopathique et non tranchée comme dans les rapports d’inspection qui, il faut bien l’avouer, ne font pas dans la nuance, même s’ils utilisent beaucoup de périphrases et de circonlocutions un peu tortueuses et raffinées.

Marilyn FERGUSON avance l’idée intéressante que toute expérience, même si elle apparaît d’abord comme négative, est potentiellement formatrice : « Si l’on conçoit la vie comme un processus, les vieilles distinctions entre gagner et perdre, entre le succès et l’échec s’effacent. Tout événement, même négatif, porte en lui une occasion d’apprendre et de faciliter notre quête. Notre vie est expérimentation, exploration. Dans ce paradigme plus large, il n’y a pas d’“ennemis”, mais seulement des gens utiles par l’irritation qu’ils suscitent, cette opposition attirant notre attention sur nos points de conflit, comme le ferait un miroir grossissant »[10]. Je me plais à redonner ici, cette citation dont la « morale » ne m’aida pas peu au moment de mes premiers déboires avec l’inspection, en juin 1984.

Les élèves apprécièrent la possibilité de pouvoir exprimer librement, et sans crainte de représailles, leurs critiques envers leur professeur (et l’école ?) : « Je trouve cette idée de nous demander ce que l’on pense de vous vraiment géniale, car on ne nous demande jamais ce que l’on pense », écrivait Nadine, si mes souvenirs sont exactes.

Ce scénario constituait pour eux une manière de « vider leur sac » (abréaction), de libérer un certain nombre de tensions et de rancœurs  accumulées, car il faut bien reconnaître, en effet, qu’aucune instance ne permet, dans l’école, l’expression d’un quelconque désaccord, ce qui fait que des malentendus peuvent s’instaurer et que l’agressivité (ou la mesquinerie) éclate parfois de manière brutale et inattendue avec parfois la complicité de certains chefs d’établissements (voir aussi les graffitis, les détériorations du matériel, etc.), au lieu qu’une libération progressive, constante et institutionnelle des rancunes et des critiques, rendrait les rapports éducatifs et la vie au lycée plus « cools » et détendus. Plus sains ! Je le sais, moi qui eus des problèmes assez graves à cause d’une mère d’élève qui, pour des raisons qui me demeurent inconnues, chercha mesquinement et secrètement à me nuire !

S’ils ne m’ont pas épargné leurs critiques, il faut remarquer que mes élèves n’ont pas « abusé » non plus de la liberté que je leur donnais de critiquer mon cours, afin de régler leurs comptes personnels avec l’Ecole ou avec moi (J’avais pris soin de préciser, que je ne voulais pas de critiques mettant en cause mes collègues, mais seulement un avis sur mon cours). Ils prirent ce travail très au sérieux, s’excusant parfois de me blesser par leurs critiques ou craignant, plus rarement, (une fois ?) des représailles. Ils firent preuve d’esprit critique plus que d’esprit de critique. Les élèves de cette classe avaient, comme les autres, la possibilité de me rendre un « rapport » anonyme. Ils auraient pu aussi refuser de faire de travail un peu inhabituel (j’ai bien entendu parler par certains collègues, d’élèves ayant refusé de faire « une interro » !) Tous rédigèrent leur « rapport » avec sérieux et mirent leur nom en haut de leur feuille, comme s’il s’était agi d’un devoir « normal ». Certains même signèrent ! Tout ceci semblerait prouver qu’un sentiment de confiance existait entre eux et moi, leur professeur, même si nos relations étaient difficiles et parfois même conflictuelles et même si je ne me gênais pas d’exprimer de façon « congruente » et parfois dure ce que leur comportement me suggérait !

Au début, cédant à un réflexe de « prof », je corrigeai les fautes d’orthographe les plus « grossières » contenues dans ces « rapports », mais très vite je décidai de respecter scrupuleusement l’orthographe, la ponctuation et la mise en page adoptées par les élèves. Ce que je pus remarquer, c’est que ces textes (non notés !) étaient plutôt mieux présentés qu’à l’ordinaire. L’écriture (pas l’orthographe !) était assez soignée, la présentation aussi. Contrairement à leur habitude, les élèves furent très silencieux pendant l’heure que dura la rédaction des remarques que leur suggérait « mon » cours. Certains me dirent qu’une heure n’avait pas suffi, et qu’ils me remettraient d’autres observations écrites plus tard. Une élève, Christine, souhaita en conclusion de son « rapport » me dire oralement et en dehors de la classe ce qu’elle pensait de mes cours.

De leurs « rapports », il ressortait aussi qu’ils appréciaient d’être traités en adultes : « Vous parlez à vos élèves comme à des adultes et je trouve cela très bien. » Ils aimaient l’idée d’être associés à l’élaboration du cours et à la mise en place d’une méthode de travail qui leur soit adaptée. Ils me donnèrent des conseils ! se situant dans un rapport horizontal fait de confiance et d’esprit de collaboration. Ces « rapports » me renforcèrent dans l’idée que les relations humaines verticales ne correspondent plus aux besoins de notre société, et que l’imaginaire social rêve d’un autre mode de relation plus convivial, même si l’émergence de cette nouvelle philosophie relationnelle rencontre des résistances vives et suscite des angoisses bien compréhensibles, chez les inspecteurs, par exemple.

La liberté est anxiogène – Carl Rogers l’a bien mis en évidence – et l’on peut comprendre que les rapports hiérarchiques traditionnels soient parfois perçus comme plus rassurants, ce qui expliquerait qu’une institution comme l’inspection ait pu survivre pratiquement inchangée, malgré de nombreuses velléités de changement exprimées ici ou là (cf. les refus d’inspection, le texte officiel d’Alain Savary réduisant l’arbitraire des inspecteurs, les initiatives prises par des inspecteurs eux-mêmes[11], etc.).

Je pris aussi peu à peu conscience qu’aucune méthode pédagogique n’est parfaite – pas même celle préconisée par l’inspecteur – qu’aucun système éducatif n’est parfait et à l’abri de tout reproche. Les systèmes pédagogiques et éducatifs sont mis en œuvre par des  hommes qui ont leurs défauts, et leurs qualités propres, le tout, l’important me semble-t-il, est d’être « congruent », authentique, fidèle à soi-même, cohérent et prêt à s’améliorer, c’est-à-dire à faire servir ses défauts à l’amélioration de la relation éducative, en les tournant en « qualités ». L’important, comme l’écrit Mireille CIFALI, c’est de ne pas céder sur l’éthique[12].

Il faut accepter d’être « pris » en classe – comme ailleurs – dans une dynamique relationnelle qui peut nous aider à progresser, à nous débarrasser de nos défauts les plus criants, en même temps qu’elle aidera les élèves à progresser, tant sur le plan personnel, que sur celui de l’apprentissage et de l’acquisition d’un savoir, car s’il est une chose que nous apprennent ces témoignages d’élèves, c’est que l’instruction (et l’éducation !) et l’aspect relationnel sont intimement liés. L’inspecteur qui juge et critique – sans d’ailleurs vraiment donner de conseils pratiques la plupart du temps -, ne peut aider un enseignant à s’améliorer, car le désir de progresser doit venir du plus profond de l’être et l’on est rarement convaincu par ce qui est imposé de l’extérieur, même dans le cas où les conseils que l’on reçoit sont judicieux.

Je me rendis compte aussi que les élèves avaient pris conscience que certains de leurs camarades étaient un obstacle, autant que le « prof » ! à l’établissement de rapports « cools » et constructifs. Je laissai donc une sorte de dynamique interne au groupe-classe s’instaurer, je déléguai, pourrait-on dire, une partie de mon « autorité », et les élèves purent ainsi régler eux-mêmes, sous ma conduite discrète, une partie des problèmes relationnels existants, ce que l’on appelle, dans une autre logique éducative “la discipline”, comme s’il y avait une espèce de guerre larvée entre le professeur et ses élèves et comme si le maître devait forcément chercher à s’imposer par la force et « l’autorité ».

Conclusion 

L’image d’un enseignant est sans doute à chercher à l’intersection des diverses images que l’institution scolaire donne de lui (rapports d’inspection, rapports administratifs des chefs d’établissement, « rapports » des élèves, et le propre sentiment de l’enseignant sur la pédagogie qu’il met en œuvre (cf. le Soi professionnel d’Ada Abraham).

Mon espoir est d’avoir contribué par mes recherches successives[13] à la définition d’une méthode, ou d’un mode d’approche permettant de parvenir à une image vraie de l’enseignant, car, dans le contexte social actuel, qui renvoie sans cesse à l’enseignant une image le plus souvent assez négative et dévalorisante de lui-même, il convient que les maîtres puissent conserver une image relativement positive qui leur permette de puiser à leurs sources narcissiques, la force de continuer à enseigner. Pour parler comme Michel Balint, le fait de faire cours doit permettre aux enseignants « un réapprovisionnement narcissique » constant.

Les « rapports » des élèves me semblent personnellement plus fidèles (je m’y reconnais mieux !) que le rapport de l’inspecteur.

Peut-être avais-je aussi besoin à l’époque, de l’assentiment – d’ailleurs fort critique ou nuancé des élèves – pour panser la nouvelle (petite) blessure narcissique que cette image de (mauvais ?) père m’infligea par deux ou trois fois ?

L’inspecteur parlait, dans son deuxième rapport d’inspection, de mon manque d’ascendant sur mes classes. La première remarque qu’il convient de faire est qu’il s’agissait là, à tout le moins, d’une généralisation abusive, car cette 2ème 7, où j’avais été inspecté était la seule de mes classes où le 17 octobre (date de mon inspection), régnait encore une certaine « effervescence » ainsi que l’écrivait l’inspecteur.

Le « rapport » des élèves - quant à lui -, rédigé à la mi-février, faisait apparaître une grande amélioration en ce qui concernait l’ambiance, même si Karine qui avait toujours une façon de s’exprimer un peu crue, écrivait qu’il y avait encore parfois du « bordel ».

Cette amélioration me fut aussi confirmée par les deux déléguées de parents d’élèves, lors du conseil de classe du deuxième trimestre, les deux mères d’élèves représentant respectivement la PEEP et la FCPE, me félicitèrent pour les rapports que j’avais réussi à construire avec cette classe difficile. Delphine, la fille de l’une de ces deux déléguées de parents d’élèves, prenait plaisir à venir en espagnol, me confia sa mère, après le conseil de classe.

Ma façon d’opérer avec des classes difficiles ne me permettait pas toujours de maîtriser les choses dès le mois d’octobre. Elle requiert un certain temps, beaucoup de patience et de compréhension envers les élèves. Cette même patience et cette même compréhension dont me créditent mes élèves et dont ils se montrent reconnaissants : « Comment faites-vous pour nous (me) supporter ? » (Mariez), « Mais j’admire beaucoup votre patience à notre égard, et surtout votre compréhension » (Delphine).

Et puis, qu’est-ce qu’avoir de « l’ascendant » sur ses classes ?

Telle est la question que j’aimerais pouvoir poser, sans agressivité aucune,  à cet inspecteur. A lire le « rapport » des élèves, j’eus l’impression que, malgré mes défauts (manque indubitable d’autorité à mes débuts, surtout dans le sens traditionnel du terme), j’avais un certain ascendant sur les élèves de cette classe, et sur ceux de la 2ème 2-3, dont je publie aussi le « rapport » ci-dessous.

L’année ne s’arrêtant pas à la mi-février, on pouvait penser à cette date que cet ascendant irait grandissant. Je n’ose, par modestie et par respect scrupuleux pour la vérité, dire que ce fut toujours le cas ! Les futurs prometteurs utilisés par certains élèves dans leur « rapport », me semblèrent toutefois révélateurs du vent d’espoir qui soufflait alors sur la classe, ainsi que des dispositions et de l’esprit constructif des élèves. La suite me donna en grande partie raison.

Et puis, il y avait les sourires de mes élèves que je croisais parfois dans les couloirs du lycée ou les rues de la ville de Meaux. Pour moi, ils parlaient au moins autant que ce rapport d’inspection d’une extrême sévérité et venaient me rassurer, s’il en était besoin, car de tels rapports d’inspection ont aussi comme conséquence de nous déstabiliser, au moins provisoirement sur le plan psychologique, tout comme ils peuvent déstabiliser les élèves, témoins de ce rite désuet et parfois cruel.

Qu’il me soit permis de citer ici un passage de mon dernier livre[14] illustrant le rôle potentiellement anxiogène que peut jouer la présence intrusive d’un inspecteur dans une classe :

« Il y a quelques années de cela déjà, préparant un livre que j’intitulai : L’inspection :  critique d’une institution et histoire d’un exorcisme, livre qui est resté inédit à ce jour, je réunis des témoignages d’élèves - mes propres élèves -,  sur l’inspection. L’écriture était en ce temps là ma façon à moi de résister aux blessures narcissiques qui m’étaient infligées (au printemps 1984, il me fut reproché  de pervertir la jeunesse, parce que j’avais fait lire à mes élèves de terminale : L’automne du patriarche, roman de Gabriel GARCIA-MARQUEZ, Prix-Nobel de littérature en 1982). Je rédigeai aussi plusieurs journaux professionnels dans lesquels je consignai mes expériences de professeur au jour le jour[15].

Voici un des témoignages d’élève[16] qui m’a semblé le plus révélateur de la façon dont les élèves vivent ce moment particulier de la vie de la classe qu’est la visite d’un inspecteur : « Je ne me suis fait inspecter qu’une seule fois (sic), je devais avoir 7/8 ans, mais je m’en rappelle comme si c’était hier. C’était un grand homme froid et grisonnant. A cette époque, ma maîtresse venait juste de commencer d’enseigner et était jeune (vous imaginez son angoisse). C’est lui qui nous a fait la dictée, j’étais tellement affolée que ma note a été lamentable ! Résultat : quand il est parti, il régnait dans la classe un sentiment d’appréhension et d’angoisse, comme après un tremblement de terre, on était encore tout affolé par ce qu’on venait de vivre. Le lendemain tout est rentré dans l’ordre et ça n’a plus rien changé. Bien sûr on était nul en math, l’inspecteur nous a écrasés au maximum, avec le prof. Cette expérience a été douloureuse et vraiment dégoûtante, car le prof en a pleuré. Donc, plus jamais ! ». Ce témoignage parlant est celui d’Agnès, une de mes anciennes élèves de seconde LV3.

Le Monde de l’Education donnait récemment la parole à un enseignant d’Ile de France, dans sa rubrique Courrier[17]. Ce collègue entonnait de nouveau la critique de l’inspection, « contrôle pointilleux de la pratique des enseignants… » et tuant toute créativité, etc. etc.

Le thème du total discrédit qui pèse sur l’inspection sous sa forme actuelle est désormais largement connu et relayé par les journalistes, dans les échos de la gazette pédagogique, tout comme le thème du malaise enseignant ou la vision généralisée et incantatoire qui, depuis des décennies, parle d’une probable et proche explosion ou implosion de notre système éducatif, si rien n’est fait pour remédier à la situation[18]. Ce sont là, pourrait-on dire, des thèmes bateaux, médiatiques presque, des lieux communs alimentant les propos de bars ou de cafeterias d’IUFM, la matière de nombreux témoignages vivants et argumentés.

La situation de l’Ecole est désormais connue de tous ! On peut impunément, ouvertement et publiquement critiquer l’Inspection, le Ministère de l’Education, etc., sans qu’il nous soit reproché de diffamer cette noble institution, d’attenter à la dignité de ses représentants ou de manquer au devoir de réserve. Le caractère nocif de l’Inspection sous sa forme actuelle est un secret de polichinelle ! Un inspecteur répondant, dans sa lettre, à mes interrogations scrupuleuses, m’écrivit, il y a quelques années déjà : « Non, vous n’êtes pas exagérément polémique ! Ce que vous dites sur l’inspection est connu de tous. Bien des inspecteurs partagent votre point de vue, mais on ne peut tout de même pas leur demander de nourrir le discours critique contre l’Institution dont ils sont les représentants appointés, ni de scier la branche sur laquelle ils sont perchés ! » (Je cite de mémoire). »

Au lieu de parler « d’ascendant », mot un peu vague et impressionniste, je préférerais parler de transfert, lorsque je lis ces « rapports » d’élèves. De transferts positifs. Et je ressentais en même temps le besoin de maîtriser, au moins intellectuellement, dans un premier temps, ce que les psychanalystes appellent le contre-transfert. Sans tomber dans une excessive psychologisation des problèmes éducatifs, dont j’ai signalé ailleurs le danger, il convient, je pense, d’être un peu au fait de la dimension inconsciente de la relation éducative, ce qui suppose que les enseignants aient reçu une formation psychopédagogique digne de ce nom. Et les inspecteurs, a-t-on envie d’interroger, possèdent-ils une formation psychopédagogique, (ou même de la psychologie au sens courant du terme) leur permettant de comprendre la relation éducative telle qu’elle se présente de nos jours ? On peut en douter, et c’est sans doute regrettable.

Mais, je veux éviter de tomber dans la polémique, et je préfère passer la parole à mes élèves.

Jean-Daniel Rohart

 


[1] ROHART Jean-Daniel.- Carl Rogers et l’action éducative (sous la direction de Jean-Daniel Rohart). A paraître.

[2] ROHART Jean-daniel.- La vie et l’éducation  Suivi de : Comment réenchanter l’Ecole ?  L’Harmattan, 2005.

[3] THEVENOT Xavier.- « L’affectivité en éducation » in Education et pédagogie chez Don Bosco. Editions Fleurus, p.p 233-254. Voir aussi : « Don Bosco Educateur et “le système préventif”. Un examen mené à partir de l’anthropologie psychanalytique in : Education et pédagogie chez Don Bosco. Op. Cit.

[4] ALAIN.- Propos sur l’éducation, pages 9 et 10.

[5] STAL Isabelle et THON Françoise.- L’Ecole des barbares, page 24 ?

[6] ALAIN.- Op. Cit. page 91.

[7] LOBROT Michel.- La pédagogie institutionnelle 

[8] Voir Cahiers Binet Simon. A propos de l’école : quelle inspection ? n° 654. 1998 – n° 1. Editions Erès.

[9] Voir ROHART Jean-Daniel.- La classe comme entité thérapeutique et formatrice.  In : Le Binet-Simon (Faut-il supprimer la classe ?), 1989, n° 621-IV, p.40-50  Et : Une expérience de pédagogie interculturelle : prolongement sur le plan de la formation et valeurs thérapeutiques. Article paru dans la revue de l’INRP (Institut National de Recherche Pédagogique).

[10] FERGUSON Marylin.- Les enfants du verseau. Pour un nouveau paradigme. Editions Calmann-Lévy, page 17.

[11] ROCQUET Jean-Pol.- L’inspection pédagogique aux risques de l’évaluation. Editions L’Harmattan, 2005. Collection Evaluer. L’auteur est inspecteur d’éducation nationale, chargé de la circonscription de Perpignan Sud. Il a été inspecteur-professeur à l’IUFM de Reims. Il a écrit avec deux de ses collègues : Inspecteur, un nouveau métier, ainsi que des articles sur l’évolution du métier d’inspecteur.

[12] CIFALI Mireille.- Le lien éducatif : contre-jour psychanalytique. PUF, L’Education, juin 1994. Le même auteur a aussi écrit  : « Du savoir et des hommes »  in La formation des enseignants en Suisse Romane, Editions Delval.

[13] ROHART Jean-Daniel.- Action éducative et éthique. Pour un compagnonnage des acteurs de la relation éducative. L’Harmattan, 2001. Et : La vie et l’éducation.  Suivi de : Comment réenchanter l’Ecole ? L’Harmattan, 2005.

[14] ROHART Jean-Daniel.- La vie et l’éducation. Op. Cit.

[15] Voir : ROHART Jean-Daniel. Entre la vocation et la nostalgie.  Propos sur l’Ecole actuelle (inédit à ce jour).

[16] Pour des témoignages d’élèves en ce qui concerne l’autorité, voir « Questionnement sur l’autorité en éducation. L’écoute sensible d’un professeur », site de René Barbier.

[17] Le Monde de l’Education. Juin 2004. Courrier. L’inspection en question, Jean-Roger Laurens, Ile de France.

[18] DIAMANT Carole.- Op. Cit. Page 46 : « Nous contenons encore l’explosion du désespoir. » Mais jusqu’à quand ?

 

 


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