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La parole est aux élèves
« Le même Xavier
THEVENOT situe bien l’enjeu délicat de l’attitude éducative la mieux adaptée
aux objectifs qu’elle poursuit, lorsqu’il parle de la double nécessité de
« sécuriser sans enfermer » et de « frustrer sans semer
l’angoisse » : une tâche délicate sans conteste et qui ne peut
souhaiter parvenir à ses fins, que grâce à l’éthique
de l’Agapè, car : « il n’est pas de pédagogie réussie, si elle
n’est pas traversée par l’éthique et l’éthique
de l’Agapè ». Et, fort de la connaissance que l’auteur avait des
conditions dans lesquelles s’exerce de nos jours notre action pédagogique, il
prenait soin d’ajouter que cette mise en œuvre de l’Agapè se fait
toujours : « dans la contingence, l’aspect partiel et le compromis
des situations humaines complexes ».[3]
« Il y a quelques
années de cela déjà, préparant un livre que j’intitulai : L’inspection : critique d’une institution et histoire d’un
exorcisme, livre qui est resté inédit à ce jour, je réunis des témoignages
d’élèves - mes propres élèves -, sur
l’inspection. L’écriture était en ce temps là ma façon à moi de résister aux
blessures narcissiques qui m’étaient infligées (au printemps 1984, il me fut
reproché de pervertir la jeunesse,
parce que j’avais fait lire à mes élèves de terminale : L’automne du
patriarche, roman de Gabriel GARCIA-MARQUEZ, Prix-Nobel de littérature en
1982). Je rédigeai aussi plusieurs journaux
professionnels dans lesquels je consignai mes expériences de professeur au
jour le jour[15].
Voici un des témoignages
d’élève[16] qui m’a semblé le plus
révélateur de la façon dont les élèves vivent ce moment particulier de la vie
de la classe qu’est la visite d’un inspecteur : « Je ne me suis fait
inspecter qu’une seule fois (sic), je devais avoir 7/8 ans, mais je m’en
rappelle comme si c’était hier. C’était un grand homme froid et grisonnant. A
cette époque, ma maîtresse venait juste de commencer d’enseigner et était jeune
(vous imaginez son angoisse). C’est lui qui nous a fait la dictée, j’étais tellement affolée que ma note a été
lamentable ! Résultat :
quand il est parti, il régnait dans la classe un sentiment d’appréhension et d’angoisse, comme après un tremblement de terre, on était encore tout affolé
par ce qu’on venait de vivre. Le lendemain tout est rentré dans l’ordre et ça
n’a plus rien changé. Bien sûr on était nul en math, l’inspecteur nous a
écrasés au maximum, avec le prof. Cette expérience a été douloureuse et
vraiment dégoûtante, car le prof en a pleuré. Donc, plus jamais ! ».
Ce témoignage parlant est celui d’Agnès, une de mes anciennes élèves de seconde
LV3.
Le Monde de l’Education donnait récemment la parole à un enseignant d’Ile
de France, dans sa rubrique Courrier[17]. Ce collègue entonnait de
nouveau la critique de l’inspection, « contrôle pointilleux de la pratique
des enseignants… » et tuant toute créativité, etc. etc.
Le thème du total discrédit
qui pèse sur l’inspection sous sa forme actuelle est désormais largement connu
et relayé par les journalistes, dans les échos de la gazette pédagogique, tout
comme le thème du malaise enseignant
ou la vision généralisée et incantatoire qui, depuis des décennies, parle d’une
probable et proche explosion ou implosion de notre système éducatif, si
rien n’est fait pour remédier à la situation[18]. Ce sont là, pourrait-on
dire, des thèmes bateaux, médiatiques presque, des lieux communs alimentant les
propos de bars ou de cafeterias d’IUFM, la matière de nombreux témoignages
vivants et argumentés.
La situation de l’Ecole est désormais connue de
tous ! On peut impunément, ouvertement et publiquement critiquer
l’Inspection, le Ministère de l’Education, etc., sans qu’il nous soit reproché
de diffamer cette noble institution, d’attenter à la dignité de ses
représentants ou de manquer au devoir de réserve. Le caractère nocif de
l’Inspection sous sa forme actuelle est un secret de polichinelle ! Un
inspecteur répondant, dans sa lettre, à mes interrogations scrupuleuses,
m’écrivit, il y a quelques années déjà : « Non, vous n’êtes pas
exagérément polémique ! Ce que vous dites sur l’inspection est connu de
tous. Bien des inspecteurs partagent votre point de vue, mais on ne peut tout
de même pas leur demander de nourrir le discours critique contre l’Institution
dont ils sont les représentants appointés, ni de scier la branche sur laquelle
ils sont perchés ! » (Je cite de mémoire). »
Jean-Daniel
Rohart
Voir : ROHART
Jean-Daniel. Entre la vocation et la nostalgie. Propos sur l’Ecole actuelle (inédit à ce jour).
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