L'autorité en éducation

 

AccueilPublicationsEducationTémoignagesLittérature¡ En español !MédiasRencontresCarl RogersC.G. JungInspectionDon BoscoBlog de HansNouveaux livresComptes-rendusLecturesLiens

jeandanielrohart@hotmail.com

[Elèves de secondes
[Alexandra
[L'inspection, regards croisés
[L'autorité en éducation] 

 

 

Questionnement sur l'autorité en éducation

      L'écoute sensible d'un professeur


 

« Enseigner, c'est donc assumer souvent

un sentiment d'échec partiel » Philippe PERRENOUD  

 

Les enseignants - ces praticiens de terrain - ont parfois le courage d'interroger leurs élèves sur la valeur de leur cours. Lorsqu'il pratiquent une pédagogie innovante, ils dérangent l'ordre institué de la classe (je dirai, avec Emmanuel Mounier, le "désordre établi" de l'école). Les élèves, parfois, se sentent troublés, devant leur pédagogie relationnelle et active. Libérés, tout à coup, par rapport aux relations d'obéissance habituelle, ils explosent... Pourtant, quelque chose en eux-mêmes, est interpellé et ils se souviennent de ce type de "profs" qui "ne devraient pas être là" car, pensent-ils, "on ne les mérite pas". Les "Républicains du savoir", partisans du retour à l' "autorité" comme ils disent, flèchant leurs réflexions pédagogiques d'une kyrielle de citations d'Alain Finkielkraut et de quelques autres, ont beau jeu de crier au scandale et à la "défaite de la pensée". C'est qu'ils ne se sont jamais réellement mis à l'écoute de la psychologie des adolescents contemporains, engonçés qu'ils sont dans le souvenir paradisiaque des lycéens, "héritiers" d'antan, désormais disparus.

René Barbier

 

 

Introduction

L'avantage - le seul, car on a aussi des douleurs ! - , lorsque l'on approche de l'âge de la retraite, c'est que l'on peut sans problème, ou presque ! , accepter les critiques justifiées qui nous sont parfois adressées par nos supérieurs hiérarchiques : proviseur et inspecteur pédagogique, par nos élèves, leurs parents, etc. (On s'adresse même parfois à soi-même, à titre personnel, des critiques plus dures que celles qui nous sont adressées !)

L'avantage aussi du « grand âge », c'est que l'on peut avoir de l'empathie et de la compréhension envers ses supérieurs hiérarchiques et envers ses collègues, comprendre de l'intérieur leur situation psychologique et leurs douleurs physiques probables, s'ils ont le même âge que nous. Car l'on n'a plus en principe de problèmes personnels à régler avec une image de mauvais-père ou alors, on est un peu en retard, mais qu'importe, à chacun son propre rythme de mûrissement ! Le professeur qui approche de l'âge de la retraite ne considère plus de manière infantile son chef d'établissement comme « un homme à abattre », il accepte de collaborer avec lui, il accepte, en général, la Loi que ce dernier incarne, surtout s'il a lui-même intériorisé la loi et s'oriente vers une attitude exigeante en même temps qu'emprunte d'humour et de compréhension envers ses propres erreurs et envers celles des autres : proviseur, élèves, inspecteur, etc. On peut même accepter de reconnaître ses défauts si l'on en a encore ! lesquels nous font descendre, s'il en était besoin, du pied d'estale sur lequel certains élèves « attardés » nous avaient encore posés, comme intronisés ! L'important, c'est d'être encore VIVANT, de prendre encore un peu de plaisir à enseigner, qui l'espagnol, qui les mathématiques, et à rencontrer des jeunes avec lesquels nous n'avons pourtant plus désormais grand-chose en commun, si ce n'est que nous appartenons les uns et les autres, à l'espèce humaine, en principe ! Comme l'écrit Mireille CIFALI dans de beaux livres qui sont tout sauf lénifiants, et qui luttent contre toutes les illusions y compris celle de la maîtrise, en appellant à la lucidité et au sentiment de responsabilité et allant même jusqu'à faire l'éloge de l'angoisse et de l'incertitude :

« Disons-le bien haut, il n'y a pas de recette pour être, pas de norme à être (…) ; pas de leçon d'exister. A chacun de bricoler, de trouver ses propres dégagements (…) (Se comporter ainsi) c'est faire le pari que l'autre en face aura le bonheur de rencontrer quelqu'un ; quelqu'un de vivant qui ne s'est pas conformé dans son rôle ; qui a ses humeurs, ses folies, mais qui ne cède pas sur l'éthique ».

L'avantage, lorsque l'on s'approche de l'âge de la retraite et que l'on aime encore enseigner, c'est que l'on peut « avouer », en toute modestie et sans forfanterie inutile, que l'on a une « philosophie de l'éducation », une conception personnelle des rapports professeur-élèves, les dire, les défendre, les VIVRE, même si nous sommes bien conscients qu'elles sont loin de représenter un idéal et d'être transposables aux autres, nos collègues qui, vraisemblablement, ont eux aussi leur propre vision des choses, aussi imparfaites et relatives que les nôtres.

L'important, comme nous le disait fort élégamment Yves MARTIN, doyen honoraire de l'Inspection générale, c'est d' « enseigner dans le fil de son bois ».

L'important, c'est de ne pas céder sur l'éthique, affirmer, par sa manière d'être, davantage que par des déclarations tonitruantes, quelques principes infrangibles, « incontournables » comme l'on dit désormais, sur lesquels il n'est pas question de transiger le moins du monde.

L'important, est-il besoin de le rappeler ? , - c'est de continuer à enseigner avec conviction, la matière dont nous sommes « spécialistes », et de préparer du mieux possible, les élèves, aux examens auxquels ils vont vraisemblablement se présenter, le baccalauréat pour les lycéens.

L'important, c'est que la rencontre pédagogique ait un sens, et pour les élèves et pour leur professeur. L'important, c'est, répétons le, de rester vivant et enthousiaste, si l'on peut !

Toutes ces raisons me poussent à vouloir publier ces notes anciennes, avec le désir aussi, c'est vrai, de « militer » (mot que je n'aime plus guère !) pour une conception des rapports éducatifs où le rayonnement personnel, l'enthousiasme, le « charisme » comptent davantage que l'autorité traditionnelle. Celle, disons, incarnée par le père-surmoique qui, on le sait d'expérience, n'est plus adaptée aux attentes et aux besoins des élèves d'aujourd'hui.

1 - L'autorité ou le « charisme » ?

La lecture des 37 témoignages de mes élèves de 2ème 7 m'apprit beaucoup sur la question de l'autorité, et sur son « contraire », le charisme. Tout comme elle m'apprit beaucoup sur les méthodes d'enseignement, les relations professeur-élèves, les attentes des élèves, etc.

Ce n'est pas sans une certaine émotion que je les relis, avec l'intention de les faire paraître.

Si j'ai décidé d'en retranscrire ici quelques-uns, c'est plus pour servir ma démonstration, « militer » en faveur d'une autre manière d'enseigner, que pour me mettre en avant, ou proposer ma pratique comme un modèle à suivre. D'ailleurs, si j'en avais, un moment, senti le désir ou la tentation, les critiques, parfois très dures, de certains de mes élèves m'en auraient dissuadé !

Comme n'importe quel choix, le choix des témoignages est « douloureux ». Je ne sais lesquels enlever. Je voudrais les retranscrire tous, tant ils me semblent intéressants, chacun à sa manière, mais je sens bien que, si je suis trop long, je risque de ne pas trouver d'éditeur ! * Quand on les lit tous, à la suite les uns des autres, on acquiert la conviction qu'il est difficile de trouver l'attitude juste, en matière d'autorité et de discipline, car les attentes des élèves varient, en fonction de la personnalité et des besoins de chacun, et un même élève peut même exprimer à quelques phrases d'intervalle des attentes parfaitement contradictoires ! A cela s'ajoutent les attentes des parents, celles de l'administration et des inspecteurs, lesquels ont en commun de détester les vagues et l'expression des émotions et des passions chez les élèves. Ils ont peur d'être débordés, ou que le maître le soit. Ces trois types d'attentes sociales et institutionnelles, auxquelles le maître est sommé de se soumettre, ont en commun cette forme particulière d'angoisse que réveille chez les adultes la vitalité des jeunes. Quant aux élèves, ils ont conscience que les problèmes en classe ne proviennent pas tous et forcément du manque d'autorité des professeurs. Ils analysent avec justesse, et sans complaisance, l'attitude de leurs camarades et même la leur propre. Ils sont prêts, au moins en théorie, à se remettre en question et à faire des efforts pour se maîtriser eux-mêmes, avec l'aide de leur professeur.

* J'ai retranscris l'ensemble des témoignages des élèves de cette classe de 2ème dans un livre plus conséquent, que j'ai intitulé : Entre la vocation et la nostalgie (propos sur l'Ecole actuelle). Travail inédit.

Sept témoignages d'élèves de seconde.

Ecoutons donc les sept témoignages d'élèves qui m'ont semblé les plus susceptibles d'éclairer, d'un jour un peu nouveau, cette question de l'autorité et dans la transcription desquelles j'ai respecté le plus souvent l'orthographe et la syntaxe de leurs auteurs, même lorsqu'elles chamboulaient la norme académique. 


 

Témoignage d'Elisabeth.

Celui d'Elisabeth, d'abord : « L'espagnol est ma troisième langue. Donc, en accédant en seconde, j'aborderai une matière totalement étrangère.

I) Débuts difficiles, et la fin ?

Ma première impression fut assez négative. La discipline étant pour beaucoup d'élèves, une attitude oubliée, le cours était ponctué de rires et de répliques plus ou moins vexantes pour le professeur.

Au début de l'année, je ne m'intéressais pas au cours ni au professeur. Il suffit que je parle avec le prof en dehors des cours pour commencer à comprendre l'attitude de la classe qui n'accusait aucune amélioration depuis la rentrée.

Pour revenir au cours, je le trouve trop poussé par rapport à ce que le prof peut donner. Donc vous n'êtes pas un bon prof pour les débutants. Vous vous emmerdez et vous voudriez étudier des textes de la littérature espagnole.

Nous ne pouvons vous offrir que des conjugaisons et des règles chiantes. Le point suivant portera sur les contacts prof-élèves. Le rapport est très complexe, personnellement, je vous trouve assez chaleureux, voire trop, parfois. Vous devez vous sentir frustré par ce bordel permanent, car dans ce cours le silence est inexistant. Je me demande donc comment ?

Comment faites-vous pour nous (me) supporter ? N'avez-vous pas réalisé que vous perdiez votre temps avec une classe aussi puérile ?

Je vous pose ces questions non pas pour vous remettre en question, mais pour faire réfléchir le prof et les élèves.

II) J'avoue que je ne suis pas un ange, loin de là. Mais un jour avant de rentrer en cours vous nous avez laissés dans le couloir. J'étais à part et je les regardais. Qui ? Les autres. Ceux avec lesquels je suis assimilée : les élèves de ma propre classe. Ils hurlaient, ils se frappaient, en gros ils déconnaient. Très bruyamment. J'étais écoeurée de les voir et de vous voir sans aucune autorité, complètement désarmé. Vous nous faites confiance. C'est profitable pour notre travail. »

 

Témoignage de Nadine.

« Ce que je pense de vos cours ? Eh bien, plein de choses… Tout d'abord, ils ne sont pas tellement passionnants, je ne sais pas vraiment pourquoi, car l'ambiance dans la classe est très bonne et on ne vous déteste pas. C'est peut-être à cause de cela. Car lorsqu'une classe est avec un prof ringard, aucun lien ne se crée, on ne perçoit pas le prof comme étant une personne qui veut nous apprendre quelque chose. Donc, on se tait, on s'ennuie à mourir, tandis que le prof est fier de lui, en se disant qu'il a réussi à avoir le calme et à passionner ses élèves. Il ne se doute pas que tout le monde l'a pris en grippe.

Dans notre classe, le problème est peut-être ailleurs. Rares sont ceux qui garderont l'espagnol l'année prochaine, donc, ils ne se passionnent pas autant que les classes qui ont intérêt à avoir de bonnes notes en espagnol.

J'ai bien du mal à vous critiquer, car pour cela, il faudrait que je puisse vous proposer autre chose, or, j'en suis parfaitement incapable.

Pour moi, c'est l'enseignement en général qui devrait être changé, c'est-à-dire les rapports profs-élèves, l'intérêt que l'on porte en allant en cours, il faudrait que les profs réussissent à nous donner envie de connaître ce qu'ils savent. Or, ce n'est pas tellement votre cas, vous me donnez l'impression de ne pas prendre plaisir à enseigner, du moins dans ces conditions. Mais je dois également vous dire que vous arriverez peut-être un jour à être un super prof, car vous êtes beaucoup plus compréhensif que les autres et qu'en étant un peu plus autoritaire, vous serez à la fois respecté et aimé.

Maintenant, je dois conclure parce que ça va sonner et que je ne suis pas vraiment capable de rédiger tout ce que je pense. Je trouve cette idée de nous demander ce que l'on pense de vous vraiment géniale, car on ne nous demande jamais ce que l'on pense. »

 

Témoignage de Dominique.

« Deux élèves discutant :
On va en espagnol avec M. Rohart !
Ah, bon et bien ça va, tu vas bien rigoler.

Voilà ce que pensent la plupart des élèves de ma classe, la seconde VII. Le problème est de savoir d'où vient de manque de compréhension : de la part du prof ? Ou des élèves ?

D'où vient ce relâchement qui se produit plus particulièrement en classe d'espagnol ?

Un prof, un homme d'une trentaine d'années, l'air sympa, un regard très doux, arrive en classe le sourire aux lèvres (ce qui est très rare).

Les élèves, une fois rentrés en classe, commencent chacun de leur côté à rigoler et reprendre le prof. Et ce dernier, ne trouvant pas le calme, nous regarde et semble pensif, mais à quoi pense cet homme qui nous est étranger ? Eh bien cet homme se demande comment est-ce qu'il pourrait nous intéresser à ses cours, et que tout cela se fasse dans le calme.

Il est surprenant de voir réagir un prof de cette manière, car la plupart nous colleraient, nous mettraient à la porte.

Tandis que vous, car il s'agit de vous Monsieur Rohart, je pense que vous êtes très sensible à l'évolution des élèves. Plutôt que de vous dire vos défauts et vos qualités, ce qui serait inutile, car tous les autres élèves vont le faire, je vous demande de rester tel que vous êtes, ne rien changer à votre attitude, et je pense qu'à la fin de l'année ma classe aura mûri, car le problème ne vient pas de vous, il stagne au niveau des élèves.

S'ils étaient plus « vieux » (moralement), je pense qu'ils vous comprendraient et qu'ils verraient qu'ils ont un prof pas comme les autres et que nous progresserions rapidement en espagnol.

Je pense sincèrement que vous n'êtes pas à votre place ici, à vous occuper de vulgaires gamins. Je pense que l'année prochaine, ils comprendront mieux, le prof que vous étiez et se rappelleront de vous, en regrettant de ne pas vous avoir apprécié à votre juste valeur. »

 

Témoignage de Delphine.

« Le cours est original, je veux dire par là qu'on ne peut pas s'ennuyer. Laisser parler les élèves est une bonne chose, mais peut-être mauvaise si les élèves ne savent pas se contenir et profiter de la chance qui leur est offerte. Certains jours le cours avancera trop vite, et d'autres jours, il stagnera. Parfois le cours peut être poussé trop loin. Si je compare avec la manière dont j'ai appris les autres langues où pendant un an, ils nous rabâchaient toujours les mêmes mots simples et presque souvent insuffisants et inutilisables dans le pays, je préfère de loin votre manière. Le fait de répéter souvent les mêmes choses peut être positif puisque, et c'est bien connu, plus on répète quelque chose mieux on le retient.

Mais, j'ai l'impression parfois que vous oubliez que nous sommes des 3èmes langue. Nous sommes une classe de seconde et chacun d'entre nous n'a pas mûri au même rythme, et l'envie de s'amuser en profitant de votre gentillesse et compréhension sera très poussée chez certains élèves que d'autres (sic). Mais j'admire beaucoup votre patience à notre égard, et surtout votre compréhension. Je pense que l'autorité ne sert à rien, car tant qu'un élève n'a pas envie de travailler, il ne travaillera pas, même si le prof le colle ou le « gronde » en longueur de cours. Vous pouvez nous apprendre à acquérir une discipline personnelle intérieure. Personnellement, quand je sais qu'un prof me fait confiance et qu'il me laisse des chances, je ferai plus d'efforts à son égard et à l'égard de mon travail. Ce que j'aime, c'est qu'avec vous les choses sont toujours au point. Il n'y a pas de cachoterie et les problèmes se règlent entre nous et pas par l'intermédiaire des supérieurs (forme de franchise très intéressante). »

 

Témoignage de Youri.

« Drôle de vie et drôle de manière, drôle d'idées et drôles de méthodes. Réveillez-vous, bande de retardés ! Pour une fois qu'un prof a le courage et la subtilité (?) d'imposer peu à peu une manière d'enseigner, une façon de voir les choses. Pour une fois qu'on a dans la vie une possibilité de voir notre société sous un autre angle que sous nos vieilles conventions retardées qui (illisible) sous la pression du monde nouveau.

Bon sang, il faut bouger. Dire que l'espagnol est facile serait faux. Dire qu'il est en tous points passionnant le serait autant. Pourtant, de toutes les expériences linguistiques que j'ai faites, jamais je n'ai eu affaire à une telle méthode évolutionniste. Bien sûr, au début cela n'était pas facile, mais cela n'est-il pas normal ? Tout citoyen cantonné à sa petite vie médiocre où franchement il « s'emmerde » à partir où l'on casse les vieilles réformes, les vieilles habitudes qu'il s'est fixé. A partir du moment où vous voulez changer, tout reprendre, tout analyser, essayer de faire bouger les choses, vous vous affrontez à un … de « non ». Pourtant, après ce moment qui fut désagréable pour tous, l'ambiance étant toujours (illisible) on a fini, pour moi j'ai fini, par un peu vous comprendre M. Rohart.

J'ai fini par décider de vous suivre dans vos idées.

Votre cours m'intéresse. Vous êtes sympa, même si quelquefois par énervement ou par excès d'autorité, vous avez été injuste. Vous avez, je crois maintenant trouvé l'équilibre autorité, enseignement, sympathie.

L'espagnol a fini par me plaire. Il m'a intéressé. Vouloir savoir ce que les gens pensent de vous, c'est très courageux, et je trouve que c'est un grand point humain. Votre seul défaut est peut-être d'avoir voulu doucement vous opposer au régime scolaire actuel.

La liberté c'est bien….  La compréhension encore mieux, mais accordez les deux avec une pointe d'autorité. Pour allier enseignement, liberté, compréhension, relation sociale, c'est très difficile. Alors je ne vais pas vous jeter la pierre si vous tâtonnez dans votre expérience, et si ça ne va pas toujours tout le temps avec une classe qui, même si elle est unie, est, il est vrai, terriblement turbulente. »

 

Témoignage de Laurence.

« Pour plus de facilité, je commencerai par le début de l'année scolaire. Les premiers cours ne m'ont pas fait un bon effet, je dois l'avouer. Il est vrai que nous formons une classe très agitée et de ce fait l'ambiance dans la classe n'était pas appropriée au travail.

Mr Rohart n'est pas comme les autres professeurs. Je ne dis pas qu'il est meilleur, mais il a une manière différente d'enseigner, considère les élèves d'un autre œil. Je ne pense pas qu'il ait l'habitude d'être sévère, ce n'est pas son but, mais nous, élèves, ressentons cela comme un peu de mollesse. Ce fut le premier aspect négatif que je considérais. Mr Rohart n'aimait pas vraiment nous avoir en cours au début de l'année, mais je dois (dire) que pour nous le cours d'espagnol était loin d'être notre cours préféré.

Il y eut aussi un autre aspect négatif, mais qui s'est atténué au cours des mois : il y eut un malentendu au premier cours d'espagnol. Mr Rohart nous prenait pour des secondes-langues, alors que nous sommes des grands-débutants. Il fut un peu pris au dépourvu, car il n'avait jamais enseigné à des élèves de 3ème langue. Je ne dirai pas que les premiers mois furent catastrophiques, le terme serait trop fort – mais cela n'en fut pas loin… Le professeur se basait sur les redoublants assez nombreux, et de ce fait pensait que l'ensemble de la classe suivait. Ce n'était pas le cas. La mauvaise ambiance, les élèves découragés par les mauvaises notes, ne rendaient en rien ce cours agréable, mais j'accorde à M. Rohart des circonstances atténuantes.

Mais, enfin le calme se rétablit un jour. Nous avions décidé avec le professeur de faire un travail sur le Vénézuéla. Nos esprits se calmèrent et se concentrèrent enfin sur le travail. Ceci débouchera sur un travail écrit qui sera, je le pense, bon dans l'ensemble et prouvera que Mr Rohart a réussi à nous donner des bases en espagnol.

Pour conclure, je dirai que Mr Rohart a voulu nous apprendre l'espagnol d'une manière « naturelle », comme si nous étions en Espagne, dans la rue. En abolissant les structures habituelles qui parfois nous passent au dessus de la tête, il a essayé de sortir du chemin habituel. Je suis sûr que si nous avions été une classe plus calme, cela nous aurez été vraiment bénéfique… ».

 

Témoignage de Corinne.

« Méthode : Je trouve que les cours sont assez durs à assimiler. Vous ne faites pas assez de cours concrets de grammaire ou de conjugaison. Je pense qu'il faudrait d'abord que nous sachions le vocabulaire, les conjugaisons, etc…, avant de faire des textes dont nous apprenons le vocabulaire au fur et à mesure.

Je pense aussi que vous notez sans trop vous préoccuper des efforts que l'on a pu fournir pour arriver à apprendre les leçons.

Ambiance : Je trouve que l'ambiance est très bonne, malgré quelques bavardages ! J'aime beaucoup apprendre l'espagnol dans cette ambiance de détente. Si vous faisiez des cours plus « techniques », cela serait sûrement moins sympathique, mais au départ il faut toujours des bases solides.

Pourtant nous voyons bien que vous aimez votre métier et que vous écoutez les avis de chacun. Vous laissez les élèves s'exprimer. La barrière prof/élèves n'existe plus. Vous parlez à vos élèves comme à des adultes et je trouve cela très bien.

J'ai l'impression de progresser et, chez moi, je relis les cours et les textes pour améliorer ma prononciation. J'aime beaucoup lire les textes espagnols, même si je ne comprends pas. »


 

La 2ème 7 : une classe très difficile.

La 2ème 7 était une classe extrêmement difficile et qui causa des problèmes à l'ensemble des collègues, sauf peut-être à leur professeur de français. Cette dernière, passionnée de théâtre, sut motiver et valoriser ces élèves, le plus souvent assez « faibles » et peu scolaires, en s'appuyant sur leurs réelles qualités d'acteurs et de comédiens.

Quant à moi, ces élèves sympathiques et vivants me posèrent, comme on dit, des problèmes de discipline qui, au moment où l'inspecteur me « visita », le 17 octobre, n'étaient pas encore réglés.

Les témoignages d'élèves que je viens de retranscrire plus haut, furent rédigés le 9 février. Ils font apparaître, ainsi que les autres, que les problèmes étaient en voie de résolution.

Du 04 septembre au 17 octobre, j'écrivis moi-même beaucoup sur ce que je vivais dans cette classe, mes notes débouchant sur un livre, inédit à ce jour, que j'intitulerai : Journal d'un prof .

Il s'avéra pour moi extrêmement intéressant de comparer mon vécu d'enseignant et celui des élèves. Cette comparaison m'aida à comprendre des situations que j'avais vécues, sur l'instant, avec une forte implication émotionnelle. Elle eut une valeur proprement formatrice, constituant un moment fort et difficile de ma propre formation continuée.

Il me sembla que ces deux témoignages (celui de mes élèves et le mien), ces deux images d'un même « prof » se complétaient, posaient les vrais problèmes, en profondeur et sans faux-semblant, alors que l'inspecteur, j'en pris conscience lors du « confessionnal » et à la lecture de mon rapport d'inspection, était, comme disent les élèves, « à côté de la plaque ». Il ne put, malgré sa finesse et mes explications, percevoir et comprendre ce qui se passait véritablement dans la classe.

Il ne put, surtout, constater les améliorations qui, assez vite, s'opérèrent, au point qu'à la fin de l'année cette classe était l'une de celles qui marchait le mieux, contrairement à d'autres où les choses commencèrent de façon plus « cool » et tranquille, mais allèrent en se dégradant progressivement.

Les affrontements m'avaient permis de poser les vrais problèmes et de créer dans cette classe des rapports confiants et de communiquer à mes élèves le goût de l'espagnol.

L'inspecteur, sans doute prisonnier d'une logique relationnelle ancienne constatant que la classe était agitée, en tira la conclusion que je n'avais aucune autorité, comme l'on dit, et que la situation devait se répéter dans toutes mes classes ; son rapport d'inspection, d'une extrême sévérité, se terminait par cette question qui inclut la réponse :

« Monsieur ROHART saura-t-il trouver rapidement l'ascendant sur ses élèves, l'autorité et la rigueur intellectuelle qui lui font si cruellement défaut ? ». (Je cite de mémoire alors blessée).

Ce fut un rude coup qui venait de m'être asséné !

Je voudrais dire cependant que les témoignages d'élèves que je viens de retranscrire visent moins à me justifier aux yeux des inspecteurs ou de quiconque, qu'à constituer un élément d'un plaidoyer en faveur d'une nouvelle relation éducative qui privilégie la compréhension, la confiance envers les élèves et un certain charisme, plutôt qu'une conception traditionnelle de l'autorité qui, on le voit bien, ne correspond plus aux attentes et aux besoins des élèves, pas plus qu'elle ne convient pour relever le défi lancé à notre époque, laquelle marque la lente et inéluctable émergence de nouveaux rapports humains et professionnels privilégiant la communication et la collaboration entre personnes engagées dans la réalisation d'une tâche commune. Une nouvelle socialité, dont le sociologue Michel MAFFESOLI nous entretient avec bonheur.

Les témoignages d'élèves (ceux-ci et tous ceux, fort nombreux, que j'ai pu recueillir depuis sept ans que je fais s'exprimer mes élèves par écrit) font apparaître que les élèves ont conscience que, dans bien des cas, ce sont les conditions matérielles et psychologiques, ainsi que le fonctionnement absurde et « caractériel » de l'institution scolaire, qui nous rendent impuissants (eux, ainsi que leurs professeurs) et nous empêchent de travailler normalement en classe.

C'est pourquoi, comme Laurence, ils nous accordent les circonstances atténuantes ! comprenant, intuitivement, et à partir d'une expérience commune de l'absurdité institutionnelle, que « profs » et élèves nous sommes, le plus souvent, embarqués dans la même galère (la nef des fous !).

Ils ont généralement conscience, comme Stéphanie, une de mes anciennes élèves de 2ème, que : « L'Art d'enseigner est le plus difficile qui soit. C'est un mélange d'humanité, de justice et de sagesse. »

C'est pourquoi, ils font preuve d'indulgence et d'une certaine sagesse, ainsi que de réalisme, le tout leur permettant de relativiser les échecs qu'en commun, parfois, nous connaissons.

Face à une situation bloquée, et sans issue, dans le contexte institutionnel et idéologique actuel, ils adoptent une attitude faite, à la fois, de résignation, de réalisme, de distanciation, et parfois d'humour ! : « Mais si, le cours ne marche pas à chaque fois, après tout ce n'est pas grave, car vous savez avoir des rapports avec nous, sympathiques mais quand même de prof (ceci n'est pas une critique) en cours comme à l'extérieur ».

Parmi les collègues qui, pour utiliser l'expression consacrée, « n'ont pas de problème de discipline ou d'autorité », il en est qui ont tendance à « stresser » presque systématiquement leurs élèves.

Il ne s'agit pas ici de leur « jeter la pierre », dans certains cas, ils réagissent ainsi pour « sauver leur peau », dans des situations de plus en plus difficiles.

Dans certains cas, ils sont angoissés. Il est vrai qu'on le serait à moins ! Ils ont peur des élèves et forcent et durcissent leur image d'autorité en s'opposant à l'expression du moindre débordement, et à celle des sentiments ou des sensations que peuvent éprouver leurs élèves.

Il est avéré que faire cours après ces collègues à l'autorité incontestée est une tâche bien difficile ! Surtout, si l'on ne se réfugie pas soi-même derrière sa persona (JUNG) – son masque – , si l'on est prêt à faire preuve d'une certaine compréhension envers les élèves, si l'on enseigne une matière peu valorisée par notre système scolaire (les professeurs de mathématiques ont rarement des problèmes de discipline, et pour cause ! ) et si, enfin, l'on ne fait pas un usage immodéré et abusif de la parcelle de pouvoir que nous confère (encore ? ) notre rôle institutionnel.

Le témoignage de Chrystel, une de mes anciennes élèves de Terminale A, me semble intéressant à cet égard : « A la limite, les élèves ont pris l'habitude d'être complètement stressés en classe et dès qu'ils se retrouvent face à un prof qui lâche un peu les « brides », c'est le défoulement. (…) Il existe une image du professeur, traditionnel qui n'est pas très bonne, le professeur est considérer (sic) comme l'horreur de l'élève, il est possible que dès qu'un élève se trouve face à un prof qui est différent des autres, moins sévère, il peut y avoir vengeance pour tout ce que l'élève a subi. »

Je suis de plus en plus persuadé que pour comprendre l'attitude des élèves à une heure de cours, il est bon (même si l'on n'est pas obligé de le leur dire, ce qui risquerait de les déresponsabiliser, et de leur ôter tout pouvoir personnel d'action sur la situation) de savoir quelle matière ils ont eu, l'heure d'avant, quel « prof », enfin, en un mot, de connaître l'environnement psychologique et la situation concrète des élèves au moment où ils franchissent le seuil de notre salle de classe.

Jean-Daniel Rohart

Mardi 13 septembre 2005

 

 


Copyright(c) 2006 Jean-Daniel Rohart. Tous droits réservés.